(...) Le film est donc, par contraste, un enchantement à voir, qui demeure encore un véritable chef d'oeuvre intemporel plus d'un demi-siècle après sa sortie. Narrant la fin du muet et les débuts houleux du parlant à Hollywood (à la manière d'un "The artist", qui s'inspire beaucoup de ce film), il fait presque figure de document tout comme de film post-moderniste. En effet, le film fait référence à cette époque avec beaucoup de soin, aussi en reconstituant certains passages typiques de l'époque, montrant l'envers du décor avec bonheur (l'ambiance de tournage, les débuts d'une technique encore balbutiante, le ton des films et le jeu des comédiens de l'époque), virant parfois à la parodie (le style de Lockwood se rapprochant de celui de Fairbanks, certains personnages étant construit à partir de personnalités de l'époque) tout en se montrant respectueux. "Chantons sous la pluie" est également un film qui mixe différents genres, à la fois pure comédie musicale, screwball comedy et comédie romantique. On a ainsi des dialogues d'une drôlerie insensée, qui rebondissent à la vitesse de la lumière, les chorégraphies sont d'une précision incroyable, l'histoire d'amour est bien racontée bref, c'est du travail impeccable à tous les niveaux. Les acteurs sont aussi très bons, jouant parfaitement sur tous les registres, entre un Kelly affable et charismatique, un O'Connor impayable en débrouillard à l'esprit vif, Reynolds exquise en jeune actrice un peu naïve sans oublier une Jean Hagen inénarrable en actrice à la voix nasillarde et au langage châtié mais à la présence physique classieuse. Mais ce qui m'a le plus emballé dans ce film, au delà de son rythme soutenu, de la perfection de son timing comique, de son hommage plein de déférence au cinéma muet (blindé de références pertinentes sur l'époque comme le film muet retourné en film sonore, comme ce fût le cas à l'époque comme avec "Hell's angels" de Howard Hughes, ou bien encore de la fin de règne parfois brutale de certaines stars dont la voix était incompatible avec les micros), c'est la mise en scène de numéros musicaux. Comme je le disais en intro, on est loin de l'indigence des mises en scène de Lars von Trier, Phylidda Lloyd ou encore Tom Hooper. Non, là, les mouvements de caméra mettent en valeur les mouvements des danseurs, donnant parfois l'impression que ces derniers flottent dans les airs, les plans sont longs et permettent d'apprécier la complexité des chorégraphies tandis que certains passages deviennent de véritables morceaux de bravoure, magnifiquement photographiés, mettant en valeur les décors et les couleurs. Aussi bien lors de la scène dans le studio avec Kelly qui allume tous les éclairages pour draguer Reynolds, la fameuse scène sous la pluie (une pluie composée d'eau mais aussi d'un peu d'encre, afin de la rendre plus visible et réaliste à l'écran, parfaite synthèse du paradoxe du cinéma qui doit tricher avec la réalité pour être vraisemblable à l'écran) ou bien sûr la scène type Broadway, véritable chef d'oeuvre au milieu du chef d'oeuvre, ou bien encore ce passage d'une grâce infinie entre Kelly et Reynolds avec ce drapé de folie qui fait de cette scène un véritable joyau à l'éclat inégalé. En définitive, un spectacle grandiose, tout simplement beau, un regard cinéphilique et pointu, la narration d'une époque bénie où tout était encore à inventer, une comédie souvent très drôle, un condensé du style Kelly qui propose plusieurs mouvements remarquables, alliant force physique et grâce naturelle tout en montrant un visage radieux (avec des vêtements masquant les bleus aux chevilles et les pieds en sang des acteurs et des actrices). Bref, un spectacle total, vibrant, magique et qui vous remet d'aplomb immédiatement. Un classique parmi les classiques qui n'a pas usurpé sa réputation. La critique complète sur thisismymovies.over-blog.com