Il fut un temps où, gavé comme une oie de blocbkusters et en proie à une certaine homophobie, je dénigrai ce film. Puis j'ai appris à m'intéresser à l'Antiquité au-delà des péplums, et à voir en l'homophobie un préjugé racial de la pire (espèce après avoir vu le magnifique V pour Vendetta). Bref, j'ai décidé de voire cette version "Revisited" avec un regard neuf, et je dois admettre que l'oeuvre de Stone remonte dans mon estime. Les défauts sont toujours les mêmes: en premier lieu, le personnage n'est pas fidèle à son original. à l'ambitieux roi macédonien, l'impitoyble guerrier antique, l'insaisissable Alexandre, Stone substitue un tout autre personnage. Alexandre serait un homme sensible et perturbé, devenu roi presque malgré lui, poursuivi par le spectre de sa mère et complexé par sa liaison avec Hephaestion, présentée comme une relation homosexuelle modernere (alors que les Grecs considéraient la "pédérastie" avec un tout autre regard...). Un personnage rendu plus humain, en somme, fortement idéalisé (beaucoup de ses actes de cruautés manquent) et très affadi (la plupart des épisodes qui ont forgé sa légende sont absents). Une décision rendue regrettable, puisque le film est entièrement basé sur ce personnage, la narration en flash back étant destinée à narrer sa vie de manière psychologique. Le film se veut pourtant crédible, et tout, dans le personnae d'Alexandre, n'est pas à jeter: son ivrognerie, sa vision civilisatrice de son expédition, son ambivalence, son amour pour la gloire et l'Iliade ont été pris en compte. Le film se montre honorable en matière de réalisme historique: Stone retranscrit en effet avec réussite une Antiquité grecque marquée par le polythéisme, l'homosexualité ouverte (à part pour le cas Alexandre-Hepaestion) et un certain mépris pour les civilisations asiatiques. De même, lorsque Stone choisit d'adapter avec fidélité les anecdotes de la vie d'Alexandre rapportés par les historiens, il s'en sort avec brio: le domptage de Bucéphale, l'assassinat de Philippe, l'entrée dans Babylone, la mort de Cleitos, donnent lieu à des scènes tantôt envoutantes, tantôt poignantes, filmées avec faste et magnifiquement mises en musique par Vangelis. Et pourtant, que d'épisodes de la vie d'Alexandre ont été laissés de côté! Où sont ces innombrables batailles, la visite à l'oracle de Siwa, la rencontre des Grecs mutilés, avec les mages chaldéens...?
Stone adopte souvent le ton de la tragédie, il met en scène une fatalité qui s'acharne sur le personnage maudit d'Alexandre. C'est souvent habile: Alexandre est comparé à Achille, guerrier en quête de gloire qui finira par mourir, parfois maladroit: la comparaison avec Prométhée pose quelques problèmes car Alexandre n'était pas cet humaniste internationaliste, et souvent faux, là où c'est le plus explicite: la relation oedipienne qu'Alexandre entretient dans le film avec ses parents sonne faux. Bref, on assiste à une succession de scènes psychologiques, souvent fausses, souvent intéressantes, souvent belles, souvent longues: trop éloigné de la réalité pour le passionné d'Antiquité, trop long pour l'amateur de péplums. Long et lent, le film l'est de bout en bout: il aurait gagné à raccourcir ces interminables dialogues et à explorer plus en détail la vie d'Alexandre. De même, les deux batailles du film sont à la fois intéressantes et décevantes. On a droit à des plans spectaculaires (la charge des chars, les nuées de flèches...), mais très rares; à des effets gores réussis, mais peu féquents eux aussi: de manière très fugace, Stone parvient donc à retranscire le spectacle grandiose que devaient être ces batailles du point de vue d'un spectateur, et la boucherie apocalyptique qu'elle fut pour les soldats; de manière très fugace seulement, car j'oserai appeler la majeure parte de ces batailles, filmées par une caméra tremblottante, à travers du sable ou un filtre rouge, une bouillie visuelle informe.
La mise en scène de Stone n'est pas sans rendre hommage à la beauté de l'architecture antique, et on appréciera particulièrement des plans somptueux sur Babylone (malgré ces griffons très peu babyloniens...). Quant au Grec Vangelis, il fait du Vangleis; c'est à dire qu'il fait par moments honneur à la culture ancestrale de son pays, avec ces sonorités envoutantes et lyriques au violon, au synthé et au piano, mais participe de la langueur léthargique du film avec ces autres compositons qui manquent de rythme et de souffle. "How can I tell you what it was like to dream, to believe that when Alexander looked you in the eye, all was possible?", déclare Ptolémée au début du film; Stone non plus ne parvient pas à le dire. Pour avoir une juste vision de ce "colosse", de cette "force de la nature" et de son incroyable épopée, lisez Plutarque ou Arrien, ce n'est certainement pas l'ambition de ce fim que de montrer en quoi Alexandre a mérité son épithète. Un biopic qui prète à la controverse, lent mais beau, irritant mais intéressant...