Soderbergh est avec Woody Allen le cinéaste contemporain le plus prolifique, le seul à soutenir en cette période où la pré-production d'un film prend souvent un temps considérable, le rythme d'un Hitchcock ou d'un Douglas Sirk de la grande époque. Alors, forcément, dans une filmographie aussi fournie, il y a du très réussi et du moins bon. "The Informant !" ne restera pas à la hauteur de "Traffic", mais il n'en est pas pour autant dénué d'intérêt, particulièrement dans la malice de sa narration.
Mark Whitacre raconte à qui veut l'entendre qu'il a perdu ses parents à l'âge de 3 ans, et qu'il a été adopté par un millionnaire qui lui a offert les meilleures études. Marié à Ginger qu'il a rencontré au collège, il a lui même adopté des enfants et avec son revenu mensuel à cinq zéros, il collectionne les voitures de luxe.
Il a les traits d'un Matt Damon que Soderberg a choisi pour son "charme juvénile et son côté propre sur lui", et qui a pris quelques vingt kilos pour le rôle. Choix judicieux, car malgré sa moustache, sa moumoute et ses cravates bariolées, Mark Whitacre présente un côté enfantin, voire puéril, notamment dans sa façon d'aborder vérité et mensonges. Car le nœud de l'intrigue se situe dans la personnalité du héros, et la finesse de Soderbergh réside dans l'adoption du point de vue de celui-ci, quitte à entraîner le spectateur sur des fausses pistes dont on comprend l'origine lors de la révélation finale.
Cette démarche de faire entrer le spectateur dans la psychologie perturbée du personnage en introduisant progressivement le doute sur la véracité de ses dires évoque celle de "Shutter Island", le livre de Dennis Lehane, en attendant le film de Scorsese, dont la sortie a été repoussée d'octobre à février. On comprend mieux alors la voix off qui multiplie au milieu d'un dialogue les commentaires sur la conscience que doivent avoir les ours blancs de la noirceur de leur truffe, même si ces digressions n'aident pas à éclaircir une intrigue bien touffue.
Soderbergh s'est centré autour de ce procédé narratif et du jeu de Matt Damon, mettant à leur service le classicisme de la réalisation, avec des effets qui évoquent plus les seventies que les années 90 où se situe l'action : photographie tirant sur le marron, titres jaunes ou fuschia au graphisme pop, jusqu'à la musique de Marvin Hamlisch, le compositeur de la B.O. de "L'Arnaque". La confusion voulue sur les différentes péripéties de l'enquête judiciaro-financière peut conduire le spectateur à décrocher par moment, mais on s'aperçoit assez vite qu'il ne s'agit que d'un MacGuffin, puisque le réel sujet du film se trouve dans la personnalité même de Whitacre.
Œuvre mineure dans la filmographie de Soderbergh, "The Informant !" est quand même un film divertissant, prétexte à une composition assez épatante de Matt Damon, et à une nouvelle réflexion sur le mensonge et l'apparence, thème présent dans l'œuvre du réalisateur depuis ses débuts.
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