Bien que la Warner comptait faire un cinquième opus Batman, toujours réalisé par Joel Schumacher, les studios ont dû abandonner leur projet à la suite de l’échec critique et commercial de Batman & Robin. Il aura donc fallu attendre huit ans pour que le Chevalier Noir renaisse de ses cendres et ce sous la houlette de Christopher Nolan, un réalisateur en qui les producteurs avaient toute confiance avec son travail effectué sur Insomnia. Un cinéaste devenu rentable et doué d’un sens artistique original pour les studios qui, pourtant, n’avait jusque-là jamais été à la tête d’un blockbuster. Son talent et son savoir-faire ont-ils été à la hauteur d’un projet plus coûteux et animé par la pression de millions de fans ? Sans tourner autour du pot, la réponse est oui !
La grande réussite de Batman Begins, Christopher Nolan la doit a bien plus de libertés offertes par la production que sur Insomnia. Au lieu de ne se préoccuper que de la réalisation, le Britannique a pu collaborer avec le scénariste David S. Goyer (la trilogie Blade) et ainsi réinventer le super-héros de bout en bout, livrant au passage ce qui est considéré aujourd’hui comme le tout premier reboot du cinéma. À ne pas confondre avec le remake, dont le but est seulement de moderniser, le reboot consiste à reprendre une franchise de zéro et de la faire partir dans une toute autre direction que l’originale, chose que réussit brillamment Batman Begins. En effet, Nolan fait fi de tout ce qui a été dit dans la saga initiée par Tim Burton allant jusqu’à effacer le côté « super-héros en collant affrontant des méchants plus charismatiques ». Ici, le long-métrage s’intéresse à l’homme sous le masque, ses tourments, ses démons. Bref, Nolan met sous les feux de la rampe le personnage de Bruce Wayne comme jamais, laissant en plan les antagonistes qui, jusqu’à Batman & Robin, avait toute l’attention du public. Une appropriation du personnage, ce dernier devenant sur le coup nolanien au possible (hanté par son passé, animé par ses erreurs…).
Batman devient ainsi le héros de sa propre histoire, ce qui permet au spectateur d’entrer sans aucune difficulté dans un solide mélange entre parcours initiatique et thriller rondement mené garantissant son lot de révélations surprenantes, tout en alliant dramaturgie prenante et humour touchant au but. Chose encore plus étonnante, Nolan et Goyer ont osé prendre des libertés vis-à-vis des comics d’origine, notamment en ce qui concerne certains décors (l’asile d’Arkham en plein Gotham City), accessoires (l’allure bulldozer de la Batmobile) et personnages (Rachel Dawes, totalement inventée). Si le risque de frôler le blasphème pour les fans du super-héros était présent, les deux hommes arrivent à utiliser ces différences au service de leur histoire, et cela fonctionne, ne dénaturant jamais ce qui a fait la force du protagoniste et de ses aventures. De plus, Nolan va même jusqu’à rationaliser le personnage, l’encrant dans une réalité inattendue (adieu l’aspect fantastique-bizarroïde des comics avec ses monstres et autre délires) qui renforce l’impact de ce Batman nouvelle génération sur le public.
Mais le Britannique ne s’arrête pas qu’à son travail sur le scénario, il livre également avec Batman Begins un divertissement de très grande qualité, misant principalement sur le spectaculaire via des plans panoramiques de toute beauté du Canada (pour les séquences dans l'Himalaya) et un montage hautement dynamique qui transforme chaque scène d’action en véritables pépites (principalement la course-poursuite en Batmobile et la séquence du tramway). Le tout servi par une bande son du duo Hans Zimmer/James Newton Howard exceptionnelle, qui procure toutes les sensations attendues dans ce genre de film (émotion, tension, grandiose…). Même, Nolan arrive également à installer une ambiance assez sombre et prenante à l’ensemble grâce aux décors de Gotham City, livrant au passage un superbe hommage visuel à l’un de ses films préférés, le Blade Runner de Ridley Scott.
Cerise sur le gâteau : il dirige un casting cinq étoiles (Christian Bale, Michael Caine, Morgan Freeman, Liam Neeson, Gary Oldman, Tom Wilkinson) sans aucune fausse note, chacun d’entre eux arrivant à interpréter leur rôle avec une justesse de ton incroyable. Notamment Bale, qui livre la meilleure performance actuelle pour un Batman, refaisant ressortir tout le côté sombre du personnage sans jamais oublier son aspect playboy arrogant et prétentieux. Nolan parvient même à mettre sur le devant de la scène Cillian Murphy, un comédien alors méconnu du grand public et qui, désormais, se souvient de son regard glaçant. Mais il faut tout de même noter une Katie Holmes guère impressionnante, qui n’arrive jamais à faire le poids entre un Caine attachant, un Freeman hilarant et un Neeson charismatique.
Après tous ces éloges, il faut tout de même avouer que Batman Begins n’est pas le film parfait jusque-là décrit. La faute, justement, à son statut de blockbuster auquel Christopher Nolan n’est pas encore habitué. S’il livre un film grandement divertissant et réussi sur les points précédents, il reste encore limité par d’autres libertés qu’il n’avait pas encore en main, comme celle de faire tout ce qu’il voulait sur le projet. Batman Begins montre à quel point le réalisateur n’était pas à l’aise avec ce type de production, devant alors respecter un cahier des charges imposé, découlant principalement d’une trame scénaristique classique pour un film de super-héros (naissance, premiers exploits, premier face-à-face, questionnement, ultime duel et reconnaissance) accompagné de son lot de clichés qui peuvent mal passer pour un cinéphile endurci (comme une réplique du genre « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ») et rendent l’ensemble un peu prévisible. Sans oublier un fan service inutile (le personnage de Victor Zsasz, ne servant à rien, en est le parfait exemple). C’est également le cas des séquences d’action, auquel Nolan n’a jamais vraiment eu affaire (à part le final d’Insomnia), et des effets numériques qu’il n’apprécie guère, qu’il filme maladroitement (les combats au corps-à-corps sont parfois illisibles). Autre défaut cette fois-ci dû à une liberté accordée au Britannique : une narration non-chronologique propre au cinéaste via des flashbacks intéressants mais utilisés ici de manière anecdotique, n’apportant concrètement rien à la construction scénaristique si ce n’est des cassures de rythme monumentales (ces séquences intervenant dans le récit assez brutalement).
Mais malgré cela, Christopher Nolan est arrivé à l’essentiel : à défaut de livrer un long-métrage aussi bon que Following et Memento, il est parvenu à ressusciter Batman de la médiocrité abyssale tout en lui donnant une ampleur tout bonnement imposante. Rarement le super-héros ne s’était montré aussi profond et travaillé que sous ce jour. Un nouveau succès commercial et critique qui permit à Nolan de se faire bien voir du grand public, si ce n’était déjà le cas avec Insomnia. Et pour ça, en plus de son savoir-faire, le cinéaste peut remercier la Warner, qui lui a fait confiance sur un tel projet !