Melville est incontestablement l'un des plus grands réalisateurs français. De nos jours il est davantage connu pour ses derniers films policiers (son somptueux chef d’œuvre Le Samouraï en particulier) que pour ses œuvres précédentes. Il serait pourtant dommage d'oublier ces merveilles, dont Léon Morrin, prêtre fait indéniablement partie. Après quelques tentatives qui se soldent toutes par un échec public et parfois critique, Melville veut absolument obtenir un succès au box office qui lui permettrait de mener sa carrière comme il l'entend. L'admiration des cinéastes de la nouvelle vague (François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol & co) ne l'atteint guère et avec ce film il va à rebours des intentions de ce petit cercle prompt à célébrer le désir de non conformisme au cinéma. Melville veut plaire, et il plaira. Léon Morrin prêtre adopte une narration facile à suivre, un rythme suffisamment soutenu, des acteurs vedettes, et un thème mêlant histoire et religion. Il dépeint avec un style sobre mais puissant un petit village français type sous l'occupation allemande. Ce lieu est tout à fait propice au déroulement d'une romance dans un contexte de fascination pour la religion. Tout d'abord parce que c'est crédible, ensuite parce que cela permet de dépasser largement la « simple » dissection du système religieux en période de guerre pour étendre cette analyse pertinente aux mœurs modifiées selon les conditions croisées qui les entourent, voire même jusqu'aux tréfonds de l'âme humaine. Le duo Jean-Paul Belmondo/Emmanuelle Riva flirte à des sommets de prestation inouïe, dans un duel de comédien titanesque qu'ils gagnent et perdent tour à tour, avec tellement d'excellence qu'il est impossible de les départager. Cet amour impossible est traité de manière intelligente, complexe, qui ne cède jamais à la facilité, ne sombre pas dans la guimauve, et évite toute mièvrerie trop souvent présentes dans le cinéma français. L'amour qu'ils se vouent l'un à l'autre est inconcevable car la religion fait obstacle, mais pas seulement. Léon Morrin a, semble t-il, appris à aimer autrement que par la passion charnelle, il nourrit ses discussions avec Barry d'amour intellectuel. Les deux protagonistes sont les têtes les mieux remplies du village, et le prêtre en a conscience, mais ne peut résister à cette attraction de converser avec Barry, c'est pourquoi il revient alors qu'il voit bien que ses pulsions féminines ont du mal à être contenues. Les précautions qu'il prend sans cesse vis à vis de Barry pour mener leur discussions comme il l'entend se révèlent de plus en plus insuffisantes, et finalement son absence de plusieurs mois ne fera qu'attiser les braises qui sommeillent en elle. A travers leurs dialogues il y a sans cesse ce jeu amoureux implicite qui fait tantôt surface de manière poignante. Le centre même de leur dissertation religieuse commune suscite beaucoup d'intérêt, même si ce n'est que la partie visible de l'iceberg que forme le film de Melville, passionnant dans ce qu'il montre et explique, touchant au génie lorsqu'on en explore le sens caché. La photographie magnifique, la partition musicale très bonne toujours utilisée avec parcimonie, ainsi que la mise en scène de maître achèvent de faire de Léon Morrin, prêtre un chef d’œuvre impérissable du cinéma français, et ce sur tout ses aspects.