Baxter, Vera Baxter est un film, immense film sur le vide bourgeois. Il y a cette plage au loin, ces mouettes qui s’envolent dans une nuée faite de noir et de blanc, ces flots qui vont et viennent. Et il y a cette femme, Vera Baxter, qui erre dans sa propre maison, une villa de Thionville achetée il y a peu, et qui ne plaît déjà plus. Pas de mobilier, ou si peu. Des canapés pour recevoir, un réfrigérateur pour se nourrir, un lit pour dormir et attendre. Un corps, habillé ou nu, suscitant le désir d’un amant et l’infidélité d’un mari, tous deux absents, ou présents à distance – le bar pour l’un, le téléphone pour l’autre. Une fête est donnée dans la ville, elle s’invite dans la villa et dans le film par le biais de la musique signée Carlos d’Alessio, une musique andine qui paraît composée pour un autre film, qui se superpose au présent film, telle une voix discordante. Et de la rencontre impromptue entre attente et fougue musicale naît une œuvre passionnante dans laquelle les silences, les aveux désavoués, les illusions perdues dialoguent avec les percussions et le siku, dans laquelle la douleur dialogue avec la fête, dans laquelle la douleur est une fête. La mise en scène de Marguerite Duras travaille l’absence à soi et aux autres par le prisme de l’espace architectural de la villa et des fenêtres : fenêtres ouvertes sur la nature environnante mais inaccessible, sur la mer aussi ; fenêtres fermées sur Vera qui s’y reflète, les traverse. Le domaine est somptueux ; il n’y manque que la vie. Une vie minée par l’argent, l’argent qui gouverne l’existence de Jean : se payer une maîtresse à un million, une villa à un million, tout jouer au poker, tout perdre aussi. Les propos tenus par Vera relatent une mobilité passée et regrettée. C’est cette absence que capte Duras. La cinéaste présente son personnage principal comme un centre vide, un carrefour de déceptions qui cristallisent l’inertie du monde bourgeois. Ne reste qu’une sensualité, partagée avec le spectateur, qu’un érotisme au croisement de la pulsion de vie et de la pulsion de mort. Baxter, Vera Baxter nous fait pénétrer, via un intérieur bourgeois, dans l’intériorité vide de la bourgeoisie. Une œuvre envoûtante, magistrale.