« Le Messager » de Raymond Rouleau sorti sur les écrans en 1937 alors que Jean Gabin a déjà à son actif des films comme « La Bandera » , « La Belle Équipe », « Les Bas-Fonds », « Pépé le Moko » et « La Grande Illusion », est un peu comme une verrue disgracieuse s’étant installée en plein milieu d’une demi-décennie prestigieuse. Raymond Rouleau acteur/réalisateur belge porte à l’écran la pièce de théâtre éponyme d’Henri Bernstein parue en 1933. Le propos de celle-ci quoique peu crédible n’est pas sans intérêt,
montrant comment un jeune homme romantique à la structure mentale très friable finit par être le jouet d’un couple au milieu duquel le hasard l’a malheureusement placé. Concours de circonstances très artificiel uniquement construit pour amener un dénouement « tire-larmes » dont le public raffole
. La pièce jouée dès 1933 au Théâtre du Gymnase, fut en effet un succès avec Gaby Morlay en vedette. L’actrice déjà expérimentée alors au sommet de sa gloire est naturellement choisie pour incarner sur l’écran Marie, la toute nouvelle secrétaire de la femme de Nicolas Donge (Jean Gabin), gestionnaire d’une société appartenant à son épouse. « Love at first sight » comme on dit en anglais, le patron lui demande sa main dès le lendemain et séance tenante divorce sans aucune compensation de la part de sa riche épouse (Betty Rowe) dont il a contribué à développer la fortune. Claude Lelouch n’aurait pas fait mieux !
C’est malheureusement ce postulat de départ tonitruant par ailleurs très mal filmé par Raymond Rouleau qui va plomber tout le reste du film. Comment en effet imaginer que celui qui vient de tenir dans ses bras Anabella, Mireille Balin, Viviane Romance et bientôt Simone Simon ou Michèle Morgan, puisse envoyer tout balader en une seconde après avoir vu Gaby Morlay de onze ans son aînée et dont il faut bien se rendre à l’évidence que son charme n’avait rien de ravageur. Difficile d’y croire en effet pour le spectateur alors que Jean Gabin seulement âgé de 33 ans n’a visiblement par l’air d’y croire lui non plus. Dès lors l’histoire dont les ressorts sont si fragiles ne peut plus tenir. Jean Gabin fantomatique comme désincarné ne parvient pas à surmonter ce rejet. Il reproduit pourtant à l’identique certaines de ses expressions et intonations célèbres qui le voyait littéralement se consumer face à l’incendiaire Mireille Balin. Mais quand ça ne veut pas ! Acteur plus que comédien comme il l’a toujours revendiqué, Gabin montre ici qu’il a un besoin impératif de croire en ce que les dialogues lui font dire. Raymond Rouleau à la réalisation plus qu’approximative semble avoir pris acte de cet état de fait, ne parvenant pas à filmer un seul baiser de ces soi-disant amoureux fous qui seulement une heure après leur mariage semble déjà sur le point de publier les bans pour leurs noces d’argent. Le naufrage est en route. Gaby Morlay dont le jeu un peu académique a besoin de s’appuyer sur celui de son partenaire, semble de son côté souffrir le martyr dans la situation peu enviable qui est la sienne.
Le départ du jeune marié pour diriger une mine d’or en Ouganda en carton-pâte, filmée dans les studios de la Victorine à Nice, pour se remettre de ses émotions ne va rien arranger à l’affaire. Les clichés coloniaux assez simplistes et navrants s’enchaînent, voyant Jean Gabin boire le calice jusqu’à la lie tout comme son personnage enfile les bouteilles de whisky pour oublier sa chère et tendre qui lui envoie des microsillons sur lesquels elle lui exprime en vers, tout son amour. Cerise sur le gâteau, l’adjoint sur place de Nicolas Donge est un jeune ingénieur novice joué par Jean-Pierre Aumont qui lui aussi va tomber sous le charme de Gaby Morlay. Mais cette fois-ci rien qu’à la vue d’une mauvaise photo ! Le hic c’est que le tout jeune Aumont a lui 18 ans de moins que Gaby Morlay ! Mais bizarrement, le novice sera plus convaincant qu’un Gabin K.O à qui c’était vraiment trop demander.
Seule la fin très dramatique où Gabin en colère se reprend soudainement
, parvient à sauver quelque peu cette très hasardeuse entreprise du naufrage complet.
Ce navet, il n’y a malheureusement pas d’autre terme qui convienne, aura au moins le mérite de démontrer à ceux qui en doutaient que le jeu de Gabin sujet à moult discussions et controverses reposait sur une alchimie intime très complexe qui explique sans doute pourquoi l’acteur aimait tant s’entourer d’acteurs, réalisateurs, scénaristes et techniciens qu’il connaissait parfaitement. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il avait repris à son compte la maxime d’Henri-Georges Clouzot : "Un bon film c’est premièrement une bonne histoire, deuxièmement une bonne histoire et troisièmement une bonne histoire". Dans cette triste aventure, il faut surtout plaindre Gaby Morlay qui avait triomphé seulement quatre ans auparavant sur les planches. Mais au théâtre le spectateur n’est pas à même distance et les gros plans n’existent pas. Enfin il ne faut pas oublier de signaler la très courte apparition du tout jeune Bernard Blier en chauffeur de taxi au tout début du film. Il aura ainsi la chance de ne pas avoir pris la tasse comme son futur complice Jean Gabin.