Le road movie est le premier choix pour les réalisateurs discrets qui ont de quoi gérer un tournage mobile. Discret, Sorín l'a été pendant 14 ans après le fiasco de sa collaboration avec Day-Lewis en 1989. C'est un réalisateur immense qui s'est ainsi dissimulé.
Les films contemplatifs en terrains inconnus marchent souvent en roue libre, livrés à un rythme élégant mais facile. Pour Sorín, ce n'était pas suffisant, et on le sent très vite aux variations de rythme. Historias mínimas est un film de « terroir » formaté pour toutes les audiences qui n'a pas eu besoin de sacrifier quoi que ce soit, sauf la troisième dimension. En effet, le destin de tous les personnages se joue sur une quasi-ligne droite : la route.
Fil noir de trois cents kilomètres qui sépare et rattache en même temps les différentes villes traversées par la caméra, c'est elle qui donne vraiment le rythme, même si l'on s'attache le plus souvent à ce qui se trouve dessus (les gens et leurs véhicules), ou au-dessus d'elle (des ciels plus que photogéniques). Quoi de mieux que cet univers en deux dimensions pour mettre en scène des histoires interconnectées ? En effet, les personnages que l'on suit tour à tour seront bien obligés de se rencontrer, puisque malgré leur liberté de suivre le fil dans un sens ou dans l'autre, il constitue une forme de destin, d'inévitable.
Leurs choix de vie semblent bien maigres. Le spectateur occidental se console en se disant européanocentriquement qu'ils ont au moins de jolis paysages, mais c'est un véritable drame que Sorín cache derrière eux. Télévision, besoin de reconnaissance, pouvoir de l'argent, superficialité : même dispersées, reliées entre elles par une route unique à travers la pampa, les villes patagoniennes vivent au rythme des telenovelas et du capitalisme. Même là-bas, en apparence isolé des besoins triviaux, l'humain se rattache à ses semblables avec un fil encore plus fin et sombre que la route : la consommation.
Seul le vieil homme avec qui l'on voyage se rappelle de ce que devrait être le monde. Lui et puis aussi la jeune, belle, moderne et gentille biologiste qui le prend en stop sur un bout de son chemin, véritable et littéral ange gardien de ce qui fait que l'Homme, même pourchassé dans les recoins les plus reculés du monde par ses tendances hédonistes et faussement sociales qui le transforment en monstre de superficialité, est un Homme. En son absence, Historias mínimas ressemble parfois un peu trop à un épisode d'Ushuaia Nature.
Le film raconte peut-être de petites choses, mais en grand. C'est un poème routier qui sait ce que cela signifie de faire se refléter ses protagonistes dans leurs propres dépendances au reste du monde.
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