C'est une rareté en France, l'une de ces comédies russes (presque un oxymore dans notre conception occidentale du cinéma russe...) qui n'ont connu de sortie, dans les années 1950, qu'en URSS et dans les pays de l'Est. Cette comédie, particulièrement, est l'un des plus gros succès populaires du cinéma soviétique, avec 48 millions de tickets vendus, et continue d'être diffusée à la télévision, traditionnellement, en fin d'année.
À l'époque de sa sortie, le film s'inscrit dans un contexte national plus détendu. Staline est mort trois ans auparavant. Khrouchtchev, au pouvoir, est lancé dans un processus de "déstalinisation". Ça respire un peu. Côté cinéma, la population ne voit toujours pas de films occidentaux, mais les cinéastes, eux, trouvent des ouvertures et reçoivent des influences étrangères. D'où l'idée de tourner cette comédie musicale avec un souffle nouveau et... quelques accents jazzy. Le film détonne dans le paysage cinématographique russe d'alors, pas seulement dans sa forme (chantée/dansée, hyper rythmée, très colorée et un brin décalée), mais aussi dans son fond : une satire de la bureaucratie et de la censure idéologique. Le film oppose ainsi un directeur "rabat-joie", dont la conception des festivités va de pair avec la volonté d'instruire et d'édifier son assemblée dans le respect du dogme communiste, à une jeunesse énergique qui a soif de liberté et de rire. Même si l'enjeu du film reste assez inoffensif (un programme de Nouvel An) et le traitement bon enfant (tout en bouffonnerie légère), cette contestation de l'ordre établi porte en elle une certaine audace dans sa dérision. Le réalisateur Eldar Riazanov, dont c'est l'un des premiers long-métrages de fiction après de nombreux films d'actualités, avait d'ailleurs des craintes en montant ce projet commandé par Mosfilm et voulut plusieurs fois être démis de ses fonctions. Mais les autorités ont trouvé le résultat plus médiocre que subversif. Preuve de l'habileté de Riazanov qui a su faire passer une pilule critique en la mêlant aux recettes de la comédie populaire : petite histoire de séduction et d'amour, humour et bonne humeur, happy end... Sans oublier quelques chansons emballantes (composées pour le film et devenues des airs populaires).
Au final, cette Nuit du carnaval est assez drôle et sympathique malgré la minceur de son scénario et la dissonance des doublages de voix. Le film constitue surtout une découverte pour cinéphiles, russophiles ou historiens, au regard du contexte social et politique de l'URSS de l'époque.
Eldar Riazanov tournera d'autres comédies à succès et fera figure d'auteur emblématique du cinéma populaire soviétique. En 2006, il donnera une suite à cette Nuit du carnaval, intitulée Nuit de carnaval, 50 ans après. Sans retrouver la gloire de ses jeunes années.