1939, année marquante pour le cinéma américain, début de l’âge d’or hollywoodien mais aussi de celui du western, un genre cinématographique délaissé au cours des années 1930 mais de retour sur le devant de la scène grâce à l’un de ses réalisateurs les plus emblématiques : John Ford.
Au départ, Darryl F. Zanuck, patron de la Twenty Century Fox, pense à Henry King pour adapter librement le roman éponyme de Walter D.Edmonds, Drums along the Mohawk (1936). Mais Ford ayant une idée meilleure à ses yeux pour cette adaptation, c’est lui qui est finalement choisi.
Réalisé la même année qu’un autre western, La Chevauchée fantastique, modèle du genre également filmé par les caméras de Ford, Sur la piste des Mohawks réunit Henry Fonda, acteur encore peu connu malgré sa deuxième collaboration avec le réalisateur après Vers sa destinée, et Claudette Colbert, confortée par plusieurs grands rôles, dont celui de la sulfureuse Cléopâtre en 1934, dans le récit de la naissance de la nation américaine.
En 1776, Gilbert (Henry Fonda) et Magdalena (Claudette Colbert) Martin quittent la ville d’Albany pour s’installer dans la vallée de la rivière Mohawks afin d’y mener une vie paisible et bucolique. Mais le conflit entre les royalistes britanniques, alliés aux indiens Cherokee, et les colons américains, dans le cadre de la guerre d’indépendance, brise leur rêve et les emporte dans les tourments de la guerre.
Malgré ce résumé dramatique, John Ford fait plusieurs fois preuve d’un ton humoristique, comme il l’a déjà fait dans La Chevauchée fantastique, grâce à des comiques de situation et des personnages atypiques. On pense notamment à Mrs McKlennar, interprétée par l’énergique et incroyable Edna May Oliver (qui décèdera malheureusement trois ans plus tard), lors de l’invraisemblable scène où les Indiens tentent de mettre le feu à sa chambre, ou encore, à Christian Reall, joué par Eddie Collins (lui aussi décédé peu de temps après le tournage), lors de l’appel des villageois au fort.
Sur la piste des Mohawks, c’est avant toute la première rencontre entre John Ford et la couleur. Bien qu’au cours de cette prolifique année 1939, le réalisateur ait tourné pas moins de trois autres films (La Chevauchée fantastique, Vers sa destinée et Les Raisins de la colère), ces productions ont toutes affiché le noir et blanc sur leurs images, une préférence de la part du cinéaste. Mais c’est bien avec Sur la piste des Mohawks que Ford s’essaie avec succès au Technicolor, technologie qui en est encore à ses prémices mais qui a déjà fait ses preuves, notamment l’année précédente, dans Les Aventures de Robin des Bois aux couleurs vives et chatoyantes. Grâce à cette technique, le cinéaste en profite pour étaler une vaste palette de couleurs à travers les différents costumes et paysages, mais il s’en sert aussi pour magnifier le feu, élément au cœur de nombreuses scènes du film.
Le faible budget avec lequel Ford a du composer se voit dans le peu de décors et de figurants, mais aussi, dans le choix contestable d’une ellipse pour raconter l’affrontement entre les colons révoltés et les royalistes britanniques. Certes, être du côté des femmes qui attendent le retour de leurs compagnons peut être une approche intéressante, et le long plan-séquence où Fonda raconte les atrocités qu’il a pu voir la preuve d’un talent dans la mise en scène, mais quel dommage lorsqu’on voit la richesse et la maîtrise de l’assaut final sur le fort. On est alors en droit de regretter l’existence d’un budget supérieur pour voir encore plus de séquences de ce genre. De plus, le récit de Fonda aurait mérité d’être un peu moins statique, car le plan fixe pendant trois minutes sur le visage de Gilbert Martin en proie à la folie peut paraître un peu trop monotone.
Pour Ford, raconter l’histoire de la nation américaine ne peut se passer d’une ode à la communauté et au vivre ensemble, dans un contexte international où ces valeurs sont remises en cause par le déclenchement imminent de la Seconde Guerre mondiale. Cette déclaration d’amour à l’union et la diversité s’incarne d’une manière très symbolique dans les dernières minutes du film, avec trois plans présentant respectivement une femme noire, un forgeron américain et un indien, le tout sur fond d’hymne national et de lever de drapeau. Humaniste, patriotique, John Ford nous livre ainsi l’un des rares happy end de sa carrière.
Tourné dans l’Utah entre juin et août 1939, Sur la piste des Mohawks est le seul film consacré au thème de la guerre d’indépendance américaine dans la filmographie du réalisateur de westerns américains le plus célèbre. Pour construire cette œuvre méconnue de sa carrière, Ford s’entoure d’Henry Fonda, dont l’un des ancêtres a justement été l’un des premiers colons de la vallée Mohawks, mais aussi de Claudette Colbert. Mais si le premier nous convainc par sa sobriété, la seconde, consacrée par l’Oscar de la meilleure actrice en 1935 pour son rôle dans New York – Miami, est un choix qui laisse à désirer. Souvent dans l’exagération des gestes et des mimiques, l’actrice française semble avoir oublié qu’elle ne joue pas dans un film muet mais dans un western parlant. Sa prestation étant si décevante que John Ford ne l’engagera plus jamais par la suite.
A côté de cet attachant couple de colons, une galerie de plusieurs personnages secondaires correctement traitée consolide l’ensemble : Mrs McKlennar, Christian Reall, le révérend Rosenkrantz et même Caldwell, énigmatique espion à la solde britannique dont chaque apparition, dissimulée en arrière-plan ou dans l’obscurité, est une nouvelle preuve, s’il en fallait une, du talent de Ford pour introduire ses personnages, dont le meilleur exemple est l’entrée en scène de Ringo Kid (John Wayne) dans La Chevauchée fantastique. Ce personnage pittoresque et antipathique avec son bandeau noir aurait d’ailleurs mérité d’être encore plus présent dans le film, dommage de ne résumer sa présence qu’à quelques courts passages oppressants.
Lors de la cérémonie des Oscars de l’année 1940, Sur la piste des Mohawks est nominée dans les catégories de la meilleure actrice pour un second rôle (Edna May Oliver pour son interprétation de Mrs McKlennar) et de la meilleure couleur, mais face à la razzia d’Autant en emporte le vent, aucun trophée ne sera remis à cette modeste réalisation.
Malgré ses qualités, cette fresque historique aux moyens limités fait finalement pâle figure face aux autres réalisations de John Ford et souffre de plusieurs défauts : la prestation mal dosée de Claudette Colbert, le ton niais et insouciant des scènes du début où les deux amoureux se lancent dans leur nouvelle vie à la campagne avec des airs de Petite Maison dans la prairie, l’ellipse scénaristique frustrante qui débouche sur le long et ennuyeux monotone de Fonda, la faible diversité des décors. Un film à la limite du genre western en raison de ses bornes chronologiques mais qui, néanmoins, mérite quand même le coup d’œil afin de découvrir l’adaptation de Ford avec la technologie nouvelle du Technicolor.