Lorsque finalement Bama Dillert (Dean Martin) enlève son chapeau, les gorges se serrent. Dernier mouvement de caméra de « Comme un torrent » (Some Came Running), beau à hurler et conclusion simple contrastant avec d’incroyables moments flamboyants dont le kaléidoscope coloré de la fête foraine (Vincente Minnelli disait s’être inspiré de l’intérieur d’un juke-box) entrecoupé de plans rouges sang, cadençant le drame à venir. Ce dernier mouvement est emblématique des petites scènes extrêmement soignées, car jamais gratuites ou hors propos. Film difficile d’abord (le faible succès et les commentaires désobligeant quant au scénario montrent à quel point) qui traite en parallèle la perte de confiance de Dave Hirsh (Frank Sinatra), écrivain en panne, de retour de l’armée, dans une petite ville qu’il pensait connaître. Attiré par une prude professeur de lettre (Martha Hyer), bourgeoise établie qui n’accepte pas sa manière de vivre et les fréquentations qu’elle entraîne et opposé à un frère (Arthur Kennedy) parvenu, devenu Le notable de la ville, mais, au delà de ses discours moralisateur, lâche et infidèle. Finalement collé avec Ginnie (Shirley MacLaine) une « poule » follement amoureuse de lui, jusqu’à la tragédie qui s’en suivra. Personnages incandescents, interprétés par des acteurs qui ne le sont pas moins, dirigés de main de maître par le cinéaste, dominés par le couple central. Franck Sinatra (malgré des frictions avec Minnelli) prouve une fois de plus quel acteur exceptionnel il était, même si dans la vie il était peu reluisant ce qui explique le mépris des critiques qui le rangèrent dans la catégorie des chanteurs (sirupeux, comme Julio Iglesias). Mais pour la petite histoire, c’est lui qui suggéra à Minnelli
"Let the kid take the bullet; maybe she'll get an Oscar." (Laisse la petite prendre la balle ; peut-être qu’elle gagnera un Oscar », car Ginnie ne devait pas sauter devant Dave pour le sauver.
Enfin, comme Joanne Woodward, initialement prévue, ne voulait pas travailler avec Sinatra, Shirley MacLaine obtint le rôle. Elle sera nominée pour l’Oscar de la meilleure actrice. Dans cette tension, au passage, Minnelli démolit soigneusement l’american way of life des petites villes avec leur carcan de conventions, entraînant hypocrisie et mensonges. Mais il traite aussi de la difficulté d’être un auteur, des doutes et des désarrois des personnages, certains comme Bama Dillert se réfugient dans l’alcool, le jeu et une éthique toute personnelle à base de cynisme d’égoïsme et d’un machisme affiché. Enfin, Vincente Minnelli oblige, les deux rêves se réaliserons, mais la tragédie de l’un montrera la relativité de la réussite de l’autre. Mélodrame aussi brillant que profond, maîtrisé jusque dans ses délires « Comme un torrent » reflet de l’angoisse existentielle du cinéaste, est avec « Tous en scène », le sommet de son œuvre.