Quand Sacha Guitry, homme de théâtre, renommé pour sa grandiloquence insolite, s’atèle au cinéma, la transition est parfois malaisée. Du théâtre dans le cinéma, Jean Renoir a su exploiter le jeu et mettre en scène le hors-champ cinématographique, valeur «athéâtrale» selon les règles de base. Quand est-il de Guitry et son «Faisons un rêve» (France, 1936) ? A première vue, une simple transposition décomplexée, de quoi diffuser la pièce au-delà des frontières parisiennes, jusqu’en province. L’histoire, comme souvent chez Guitry, est un vaudeville naïf, une histoire d’amour trop simple pour être vraie. Le rythme des dialogues soutenus permet néanmoins à l’histoire et à ses personnages d’être attachants. Mais rien n’est cinéma, sinon très peu. Les personnages n’interviennent et les dialogues ne s’enclenchent que lorsque le caméra vient à se poser devant eux. La nécessité d’être vu pour exister est typiquement théâtrale. Le hors-champ n’existe pas. Sinon dans cette scène magnifique, celle qui centre le film, où le personnage de Guitry concrétise le hors-champ. En attendant la venue de sa maîtresse, Guitry «visualise», et nous avec lui, le trajet de sa dulcinée. Et l’objectivisation du hors-champ continue lorsqu’il l’appelle pour savoir la raison de son absence. Sauf un plan de coupe de la femme chez elle, l’interlocuteur n’est jamais figuré. La scène centrale, disons franchement le deuxième acte, n’est qu’un monologue de Guitry, inoubliable par sa faculté à faire du hors-champ l’intérêt total de son discours. Hormis cette scène splendide, le film n’est rien de mieux qu’une légère comédie de boulevard. Bien heureusement, le talent d’écriture de Guitry est efficace mais ceci relève du théâtre. Il est évident qu’il n’y a pas l’ombre d’une réalisation et encore moins d’un montage. Pas de forme utilisée donc pas d’art. Le seul intérêt du montage et de dynamiser le récit, de ne pas le laisser reposer comme au théâtre.