Que ce soit en père fondateur du "free cinéma" anglais ou en réalisateur accompli à Hollywood, Karel Reisz se sera tout au long de sa très courte filmographie (neuf films dont quatre tournés en Angleterre et cinq à Hollywood) intéressé à des personnages en décalage avec leur milieu et enclins par ricochet à l'autodestruction. "Les guerriers de l'enfer", tiré du roman de Robert Stone ("Dog Soldiers" paru en 1974), s'inscrit dans la même veine. Le conflit du Vietnam comme toile de fond imprègne nombre de films de l'époque notamment l’étape du difficile retour qui fut traitée sous différents angles par des réalisateurs comme Hal Ashby ("Le retour" en 1978), Ivan Passer ("Cutter's way" en 1981) ou encore Ted Kotcheff ("Rambo" en 1982).
Avec " Les guerriers de l'enfer", Karel Reisz, par le biais d'une intrigue policière qui ne le passionne guère, met l'accent sur la confrontation brutale d'une génération qui a connu la révolution hippie avec la violence d'une guerre ayant propulsé toute une jeunesse à des milliers de kilomètres de chez elle. L'incipit nous emmène justement dans un Vietnam déliquescent où les jeunes soldats américains horrifiés parce qu'ils ont vu ou fait, sont en totale perte de repères. Les trafics en tous genres font florès ainsi que des rumeurs incontrôlables, comme celle concernant les fameuses femmes-torpilles qui seraient envoyées par les Vietnamiens pour piéger les troupes américaines, sans doute véhiculées à dessein pour tenter de réactiver une motivation qui s'étiole gravement.
Dans un panorama de débâcle annoncée, John Converse (Michael Moriarty) un journaliste qui s'est porté volontaire pour éprouver son courage au contact du réel, constate amèrement que l'épreuve le dépasse. Parallèlement impliqué dans un trafic de drogues sur place, il convainc Ray Hicks (Nick Nolte), un GI devant retourner à Los Angeles avec lequel il a sympathisé,
de convoyer pour lui deux kilos d'héroïne qu'il livrera à sa femme Marge (Tuesday Weld) en échange d'une somme d'argent. Mais les choses ne se déroulent pas comme prévu, un flic véreux (Anthony Zerbe) et ses sbires ayant décidé de faire main basse sur la marchandise
. Karel Reisz faisant peu de cas de la solidité de son intrigue, le spectateur est tout d'abord un peu déstabilisé avant de pouvoir se concentrer sur la fuite de Ray (accompagné de Marge) dont on comprend vite qu'il ne se fait guère d'illusions sur ses possibles chances de réinsertion.
C'est vers le désert où autrefois il sonorisait des concerts de la vague hippie qu'il entraîne la horde à ses trousses comme un retour aux sources mais aussi possiblement comme un endroit pour mourir. On comprend rétrospectivement que le choix d'accepter la mission confiée par son ami tenait certainement plus du désenchantement et des illusions à jamais perdues que d'un réel appât du gain. Difficile en effet de retourner à la vie civile en tentant de concilier le rêve hippie que le gouvernement vous a volé avec la maîtrise de l'art de tuer acquise dans les rizières du Vietnam. Marge aurait pu représenter l'espoir d'un renouveau mais sa fragilité extrême réclame une épaule solide que Ray ne peut lui offrir.
Dès lors,
le chemin du sacrifice est tout tracé pour Ray revenu dans les collines où encore adolescent, il rêvait d'un monde nouveau
. Se dégage profondément de ce film un peu décousu une tristesse que Nick Nolte pour son premier grand rôle porte avec une vérité confondante parvenant à rendre la vulnérabilité de son personnage malgré son physique d'athlète respirant la santé. Quant à Tuesday Weld, elle n'a sans doute jamais été plus jolie et plus touchante. On notera les abondants extraits des chansons de Creedence Clearwater Revival (le groupe incontournable des films traitant du Vietnam) dont l'une entre elles, "Who'll stop the rain", donnera son titre américain au film. Une œuvre on l'a dit qui aurait pu être mieux articulée mais qui sait incontestablement tirer parti de ses faiblesses pour toucher au cœur. Une qualité constante du cinéma de Karel Reisz.