Père du « Free cinema » anglais au détour des années 1960 avec Tony Richardson, Lindsay Anderson et John Schlesinger, Karel Reisz fut un réalisateur toujours captivant à la filmographie ramassée (neuf films en trente ans). Une carrière qui sera tout aussi fructueuse en Angleterre qu’à Hollywood où il ne reniera rien de ses ambitions artistiques, ce qui explique peut-être la parcimonie de sa production. « Le flambeur » en 1974 est justement son premier film sur le sol américain avec dans le rôle principal James Caan devenu une immense vedette juste après « Le Parrain » de Francis Ford Coppola tourné deux ans plus tôt. Le scénario écrit par James Toback, vaguement inspiré du « Joueur », la nouvelle de Fiodor Dostoïevski est en partie autobiographique.
James Tobiack montre son scénario rédigé à Robert de Niro mais Karel Reisz qui arrive sur le projet préfère faire appel à James Caan qu’il impose sans mal à la production du fait de sa notoriété supérieure. A la même époque James Caan lui-même lutte contre sa dépendance à la cocaïne. Autant dire qu’il n’œuvrera pas totalement en territoire inconnu. Sans transition, le spectateur est plongé dans un tripot d’arrière-salle où Axel Freed (James Caan) est un joueur parmi d’autres en train de miser et de perdre des sommes d’argent dépassant largement la moyenne des enjeux de la salle. La séquence qui suit montre Axel face à des élèves d’un collège où le jeune homme se révèle être un professeur de littérature brillant mais aussi auteur en devenir. En relation sentimentale avec la très jolie Billie (Lauren Hutton), Axel semble avoir tous les atouts en main pour mener une vie épanouie. Cerise sur le gâteau, il est issu d’une famille riche.
Du fait de son profil intellectuel qui impose un certain respect mais sans doute aussi par ses origines bourgeoises rassurantes, Axel bénéficie d’une réelle mansuétude de la part de celui (Paul Sorvino) qui manage ses dettes pour le compte de ses créanciers. Mais Axel
commence à entrer dans une zone dangereuse quand subitement sa dette s’élève à 44.000 $. Une dette dont il n’a pas commencé à rembourser un le moindre cent bien au contraire, ayant plongé à pieds joints dans le cercle infernal d’une cavalerie bien connue des joueurs qui consiste à continuer de miser pour rembourser ses dettes
. Karel Reisz dont la caméra ne quitte pas d’une semelle un James Caan en osmose parfaite avec son personnage, tente ainsi de s’approcher au plus près des fondements de cette addiction qui n’a rien de chimique. Axel est un intellectuel qui n’ignore rien des bassesses auxquelles il s’humilie à recourir pour obtenir des fonds aussitôt dilapidés via un chantage affectif assez minable exposé par Karel Reiz au moyen d’inserts le montrant quémander auprès de sa mère.
Si à l’aise devant ses élèves pour décortiquer les poèmes et proses des auteurs classiques, Axel semble démuni pour s’expliquer les ressorts de son addiction à laquelle il ne détecte comme substrat banal que le besoin d’adrénaline qui lors de courts instants lui donne la sensation extatique de sortir de lui-même et de planer ainsi au-dessus de sa condition humaine qu’au fond de lui-même il juge pitoyable. L’adrénaline, Axel la puise aussi dans le danger qui rôde autour de lui avec les représailles violentes qui s’approchent. Une sorte d’anneau de Moebius dont il commence à penser que la seule manière d’en sortir est peut-être un saut dans le vide comme le montrera la dernière scène du film.
James Caan dont l’allure générale respire l’assurance et la force n’est jamais meilleur que lorsqu’il doit laisser transparaître les failles et tourments de ses personnages. Le film de Karel Reisz qui était l’un de ses favoris est sans aucun doute l’un des plus réussis de son auteur qui en réalité n’a jamais proposé que des films intéressants aux tonalités pourtant radicalement différentes. Ici sa direction d’acteurs est d’une rare subtilité que ce soit avec Lauren Hutton en petite amie d’Axel lucide mais compréhensive ou encore Jacqueline Brookes en mère déroutée par ce qu’est devenu son fils. Sans oublier les « tronches » célèbres toujours dans le ton que sont les Paul Sorvino, Burt Young, Morris Canovsky , M. Emmet Walsh ou Antonio Fargas. Le tout nimbé par la musique lancinante de Jerry Fielding qui contribue à renforcer le mystère de la passion du jeu dont Karel Reisz a bien compris qu’elle est impénétrable et notamment par ceux-là même qui en sont atteints. N’est-ce pas Alexandre Dumas qui dans « La femme au collier de velours » (1850) écrivait : "Ce qui fait la passion du jeu plus forte que toutes les autres, c'est que, ne pouvant jamais être assouvie, elle ne peut jamais être lassée. C'est une maîtresse qui se promet toujours et qui ne se donne jamais. Elle tue, mais elle ne fatigue pas".