Avant que Tim Burton ne s'empare du personnage de comics créé par Bob Kane, Batman était surtout connu à la télévision sous les traits d'Adam West qui a tenu ce rôle pendant pas moins de 120 épisodes et un film sorti en 1966. Kitsch avec ses onomatopées en surimpression et ses cliffhangers mémorables, l'homme chauve-souris version William Dozier était un aventurier aux nombreux gadgets et au destin indissociable de son fidèle Robin. Pour Tim Burton, plonger dans l'univers de Batman signifiait avant tout faire ressortir toute l'obscurité qui plane sur son combat et la plaie béante que représente l'assassinat de ses parents. Bien qu'il s'agisse d'une commande, le réalisateur américain s'est complètement approprié l'univers de Bob Kane et l'a transposé dans le sien, tissant un lien esthétique évident entre Beetlejuice et Edward aux mains d'argent qui sortira deux ans plus tard. En s'attaquant à ce héros phare de l'imaginaire populaire américain, le réalisateur de Sleepy hollow a imposé à la franchise un niveau d'exigence qui trouvera son apogée dans Batman, le défi. Contrairement à Christopher Nolan qui consacrera un long-métrage à la transformation de Bruce Wayne en Batman (Batman begins),
Tim Burton fait intervenir dès le premier film l'un des ennemis les plus célèbres de la chauve-souris : le Joker
.
Assassin de ses parents, Jack Napier va passer progressivement, suite à la trahison de sa hiérarchie, d'un homme de main ambitieux à un redoutable "villain" qui ne reculera devant rien pour prendre d'assaut Gotham City
. Avec son humour macabre, ses armes loufoques et son rire caractéristique, le Joker devait obligatoirement être interprété par un acteur charismatique. En jetant son dévolu sur Jack Nicholson, Tim Burton a eu une idée de génie. L'inoubliable Jack Torrance de Shining est impressionnant dans le rôle du Joker et utilise avec une intelligence de jeu incroyable toute la particularité de son personnage. Sa prestation est tellement étonnante qu'il en vient presque à éluder celle toute en retenue de Michael Keaton que Burton avait déjà dirigé dans Beetlejuice. Actrice très en vogue à l'époque, Kim Basinger vient compléter l'affiche et sera la première à découvrir l'identité secrète derrière laquelle se cache Bruce Wayne. L'indéfectible Alfred est quant à lui interprété avec sobriété par Michael Gough, acteur fétiche de Tim Burton (Alice au pays des merveilles, Les noces funèbres) qui, pour l'anecdote, tiendra ce rôle dans les quatre films de la tétralogie (Les deux Tim Burton, Batman forever puis Batman & Robin). La véritable réussite du film repose en fait sur l'ambiance distillée par le cinéaste que l'on retrouve à la fois dans la bande-son écrite par Danny Elfman et Prince, l'esthétique gothique de Gotham City et bien entendu par l'originalité inhérente au Joker qui rivalise d'originalité pour terroriser la population. Incontournable dans tout film mettant en scène des superhéros, l'humour est bien entendu de la partie et se retrouve comme dans Superman dans la gaucherie de Bruce Wayne mais aussi dans des aspects plus subtiles.
Dans cet ordre d'idées, il y a par exemple le fait que le Joker contamine les produits cosmétiques et oblige les présentateurs TV à apparaître sans maquillage, révélant des visages loin d'être aussi parfaits qu'ils ne le sont d'ordinaire
. Si certains préfèrent aujourd'hui la vision plus fidèle de Christopher Nolan, le film de Tim Burton a pour lui une ambiance unique qui respecte le bestiaire de Gotham City - batmobile, gadgets, batcave, double-identité - tout en apportant une interprétation personnelle et très noire du héros septuagénaire américain.