Désireuse de réitérer le succès rencontré par "Superman" lors de la précédente décennie, la Warner Bros décide de mettre en chantier une adaptation de Batman, célèbre concurrent de l’homme au grand S. Le projet échoit à Tim Burton qui vient de remporter de francs succès avec "Pee-Wee" et "Beetlejuice", deux comédies déjantées dotées d’un univers singulier. Ébloui par l’œuvre de Frank Miller qui proposait une relecture du mythe de la chauve-souris en lui accolant une aura plus sombre et plus violente, Tim Burton décide de retourner aux sources de l’œuvre créée par Bob Kane en 1939. Batman n’est plus le super-héros gentillet popularisé par la série télévisuelle : le héros, schizophrénique sur les bords et manichéen à l’extrême, se cherche et tente de légitimer chacune de ses actions. Du protecteur de la veuve et de l’orphelin, il s’est métamorphosé en un être intègre et honnête dont la seule soif de vengeance suffit à le rendre détestable en même temps que plus humain. Car, ce qui caractérise le héros burtonien, c’est justement l’humanité de celui-ci (le choix de Michael Keaton loin du golden boy bodybuildé attendu). Volontairement effacé, gangréné par un côté obscur qui sommeille en lui, Bruce Wayne, comme Batman, est un individu lambda capable du meilleur comme du pire. Ainsi, n’hésite-t-on pas à nous le montrer comme une créature vengeresse sans pitié (il
exécute à tour de bras dans le feu de l’action les ennemis au lieu de les secourir
) prête à tout pour
assassiner celui qui a jadis tué ses parents : le Joker
. Outre cette liberté prise par rapport au matériau originel, la particularité de "Batman" est de mettre en ostentation la personnalité du Joker au détriment de celle du rôle-titre. Davantage fasciné par les méchants, Burton concentre l’essentiel de son œuvre sur la personnalité cruelle et maladroite (paradoxe étonnant) de ce Joker délirant magistralement interprété par un Jack Nicholson en roue libre. Le Joker, plus célèbre opposant de l’homme chauve-souris, ne respecte rien ni personne et n’éprouve de compassion pour personne (
l’assassinat de Bob, son assistant
). Le méchant donne un coup de pied dans le politiquement correct en faisant ressortir les aspirations vénales du peuple et la facilité de leur maniabilité (la pluie d’argent sur la foule), en
détruisant toute forme d’art (le saccage du musée) et en tuant tout ce qui entrave son passage (sa maîtresse)
. Face à la transparence du héros masqué, le vilain crève l’écran et séduit par ses excentricités meurtrières autant que par son look violet. L'histoire est la suivante : un
mystérieux justicier, déguisé en chauve-souris, Batman, sème la terreur parmi les malfrats qui ont fait de Gotham City la ville du crime et de la violence. Parmi eux, un certain Carl Grissom, un parrain de la pègre locale et homme d’affaires peu scrupuleux, s’attaque à d’innocents passants pour les dépouiller. Par ailleurs, Jack Napier, bras-droit de Grissom, entretient une liaison avec la petite amie de ce dernier. Pour se venger de cet adultère peu flatteur, Grissom tend un piège à son homme de main en le propulsant dans les mains de la police. Napier tombe alors dans une cuve d’acide qui le défigure. Peu après, un nouveau criminel démoniaque, le Joker, sème la terreur sur la ville
... Ainsi, ce film de Tim Burton est la première adaptation de "Batman" à avoir connu un franc succès auprès du public. Avec ce film de 1989 réalisé par le maître du gothique et de la mort comique, Tim Burton, qui s’était déjà illustré avec "Bettlejuice" précédemment, si pour certaines raisons le film a fait scandale auprès de quelques fans, de l’autre côté le succès était au rendez-vous avec la rentabilisation mondiale de plus de 410 millions de dollars et un Oscar pour les décors en 1990. C’est à 90% du Tim Burton et du grand Batman tout craché comme on l’aime et la manière de raconter l’histoire aussi m’a plu : à Gotham City,
la violence gronde, les fonctionnaires sont corrompus et les citoyens ont peur. Peu de solutions s'offrent à eux, un nouveau procureur Harvey Dent semble vouloir s'attaquer aux puissants de manière légale mais c'est une ombre nocturne qui fait parler, une chauve-souris géante qui s'attaquerait aux bandits
. Tim Burton s'empare et s'approprie le mythe de l'homme chauve-souris et nous entraîne dans un fantastique et nocturne Gotham City pour nous faire suivre son combat pour la justice et contre le Joker. En termes de mise en scène, de décors et d’univers, on retrouve tout ce qui caractérise à la fois l’univers de Burton mais également celui de Batman tel qu'on aime le voir aujourd’hui : la noirceur des rues et des bas-quartiers de Gotham, le costume de Batman qui est très classique mais réussi et qui colle au mieux à l’homme chauve-souris, les dimensions de grandeur d’échelle lors des plans à l’intérieur du manoir de Bruce Wayne, les plans et cadres penchés sur le côté qui arrivent à installer l’ambiance sombre et inquiétante que doit inspirer le justicier mais aussi la menace et la criminalité qui fait tout le charme de cette vile constamment en proie au mal et qui a besoin de Batman pour qu’un semblant de justice soit présent. En fait Burton va très loin pour symboliser ce justicier, à
commencer par l’introduction où il filme, pendant toute sa durée et avec le thème musical principal du justicier en fond, le logo de Batman sur les côtés avant de le filmer de face
. En tout cas, Burton s’est bien imposé à travers sa réalisation et ses décors, notamment avec
l’usine chimique qui devient symbolique car lieu de naissance du Joker ou l’immensité du manoir de Wayne et sa fameuse Bat Cave qui sont tellement gothiques et sombres qu’ils en deviennent fascinants, de même pour la technologie à la portée du justicier masqué, que ça soit la Batmobile, ou le Bat-grappin
. Mais bien sûr, "Batman" ne serait peut être pas "Batman" sans une bonne musique et un thème pour accompagner chacune de ses apparitions. Heureusement ça tombe bien, Danny Elfman s’en est chargé et son travail, ainsi que celui de Prince pour les chansons, est devenu culte auprès des fans grâce à l’aspect sombre et de grandeur que l’on retrouve dans l’instrumentation. Le "main theme" en lui-même est toujours aussi génial, on le retrouve même dans la série qui a vu le jour par la suite et pour ma part j’ai du mal à ne pas repenser à cette musique quand on parle du justicier. Donc le travail de Danny Elfman sur ce film reste un modèle d’orchestration pour un film de super-héros. Voyons ce que vaut le casting maintenant en commençant bien sur par l’interprète de Batman : Michael Keaton qu’on aimait et qu’on aime toujours confondre avec Julien Lepers pour la grosse blague. C'est peut-être le point le plus noir du film car Keaton interprète un Bruce Wayne froid et méprisable, et pour ma part à aucun moment du film je me suis attaché à Batman/Bruce Wayne tellement ce personnage est antipathique. Parlons-en d’ailleurs avec le personnage totalement inventé dans ce film, Vicki Vale, campée par Kim Basinger. Elle fait office de témoin et de représentation du spectateur dans ce film pour aider le public lambda à s’intéresser à Batman, ce qu’il représente, ses ennemis, son code moral et tout ce qui le compose. Et franchement, elle le fait parfaitement bien. Kim Basinger, en plus d’être somptueuse à voir, s’en sort très bien et elle n’oublie pas d’être un personnage, ici une journaliste qui se prend de passion pour Bruce Wayne et son histoire. Mais si il y a bien un point dont j’ai envie de parler dans tout ce film, c’est le cador en puissance des acteurs, celui qui en a terrifié plus d’un dans "Shining", celui qui a marqué tout un public, Jack Nicholson en Joker ! Et je le clame, ce Joker est l'un des meilleurs de tous. Et de toute façon, ça ne changera rien au fait qu’ici le Joker est juste parfait en terme d’écriture, ici il a une introduction et contrairement aux films de Nolan, Burton lui a donné un passé et une histoire pour montrer que sa folie ne venait pas de nulle part, il le symbolise même avec le jeu de carte de Jack Napier et la carte du Joker à un moment, et Jack Nicholson est ultra fendard en tant que prince du crime. Il a même plusieurs répliques devenues cultes et mémorables. Il est drôle, il est terrifiant quand il le faut, il représente une vraie menace pour Gotham City, son rire est superbe de même que son maquillage que j’adore personnellement, et ses motivations sont crédibles. Tout le reste du casting est assez incroyable également, avec une brochette d'acteurs réussie (Jack Palance, Michael Gough, Pat Hingle et Billy Dee Williams). Sinon les décors sombres et gothiques sont splendides et font honneur à l’expressionnisme allemand, de même que les splendides costumes, maquillages et effets spéciaux, de même que les effets visuels. Bref, ce film a parfaitement mérité ses nominations aux Oscars des meilleurs décors, maquillages, costumes et effets visuels, et est vraiment un très bon film "Batman". Situé dans un décor monochrome envahi par la pénombre que la lumière lunaire peine à éclairer, le propos de "Batman" de 1989, sans être fondamentalement intéressant, est magnifié par la peinture sombre de son héros autant que par la polychromie enivrante et la folie dévastatrice de son ennemi juré, offrant une lutte jubilatoire entre les sempiternels représentants du Bien et du Mal en évitant l’écueil d’offrir une dichotomie théorique flagorneuse. Le final, relativement bâclé, entache quelque peu cette première résurrection cinématographique de l’un des héros les plus prisés. L’erreur sera réparée par le truchement du second volet burtonien, chef d’œuvre indétrônable. Dommage que le héros Batman soit ici lui-même aussi antipathique