Charles Laughton, grand acteur d’origine britannique, aura attendu d’avoir joué sous les ordres d’Hitchcock, Jean Renoir, Joseph Losey, Demille, Siodmak, Jules Dassin ou Leo McCarey avant de passer lui-même derrière la caméra. C’est en 1955, le film s’appelle La nuit du Chasseur, et c’est le seul qu’il aura réalisé – un chef d’œuvre. Ce film au charme fou est porté par la distribution exemplaire : notons d’abord la performance des jeunes acteurs qui y interprètent les enfants, notamment John et Pearl, les héros du film. Leur interprétation est d’une justesse sidérante pour leur âge. De même, Robert Mitchum y est absolument incroyable, il donne une touche de fantaisie à son personnage schizophrène, et rend plausible la contradiction qui l’habite (« love » & « hate »).
Le motif de la contradiction transcende d’ailleurs La nuit du chasseur : il débute comme une critique caustique de la religion (le prêcheur est un fou à lier), mais semble donner une morale inverse au dénouement (tous les enfants réunis autour de la mère protectrice, qui leur lit la bible). Au-delà de la question religieuse, le film vogue entre cauchemar et conte de fée, et on peut dire en fait qu’il tire sa magie de ce mélange des genres et du foisonnement d’idées. Chaque scène est une merveille, la mise en scène est frappante pour un premier coup d’essai, et la photographie sublime. L’apogée de cette maîtrise est bien entendu la succession de scènes où l’on voit la barque qui se laisse porter par le fleuve, tandis que chouettes, crapauds et renards s’agitent sur la rive. Celle du cadavre dans l’eau, ou toutes les apparitions de Powell, restent également gravés dans notre esprit pour longtemps. Le film est rythmé, l'émotion perdure jusqu'au bout, et l'oeuvre a préservé toute son aura fascinante au fil des ans. Un vrai moment de poésie.