L'insuccès de "Vampyr" sorti en 1932 obligea Dreyer à interrompre pendant plus de dix ans son activité cinématographique pour se consacrer au journalisme non sans avoir tenté en vain de mener à bien plusieurs projets dont une adaptation de "Madame Bovary". C'est sous l'occupation nazie qu'il développe "Jour de colère" tiré d'une pièce de Hans Wiers-Jenssen ("Ann Pedersdotter") qu'il avait vue en 1925. Il s'agit du premier véritable film parlant de Dreyer, "Vampyr" étant presque exclusivement muet. Comme Benjamin Christensen, autre cinéaste danois, l'avait fait avec "La sorcellerie à travers les âges" en 1922, Dreyer remonte jusqu'aux temps reculés où l'obscurantisme induit par l'ignorance scientifique légitimait la toute puissance des institutions religieuses pour régir les comportements humains à partir de leur propre définition du bien et du mal. En 1623 au Danemark, la chasse aux sorcières est à son comble et comme l'expliquait si brillamment Benjamin Christensen dans son film, les femmes en payaient à elles seules le lourd tribut. Il faut admettre que la Bible en attribuant le péché originel à Eve avait grandement aidé à trouver le bouc émissaire idéal à tous les maux de la vie sur Terre. Une pauvre femme sans doute guérisseuse est la nouvelle victime désignée de ces tribunaux religieux que Dreyer avait largement dénoncés dans "La passion de Jeanne d'Arc" (1925). Deux cent ans après la mort de Jeanne sur le bûcher (le 30 mai 1431 à Rouen), on continue donc à travers toute l'Europe de brûler vives de pauvres femmes après les avoir torturées pour leur faire avouer leur prétendu lien avec Satan. Même procès mais style très différent pour le réalisateur qui délaisse la surabondance des gros plans empruntés à Griffith et à Eisenstein pour une esthétique picturale inspirée des grands maitres de la peinture hollandaise du XVIIème siècle (Rembrandt, Pieter de Hooch, Emmanuel de Witte, Frans Hals, Ter Bruggen). Le noir et blanc utilisé par Dreyer autant qu'il transcende le conflit entre le bien et le mal qui habite chacun des personnages, amplifie la rigidité des rapports humains fondés sur la culpabilité. Le procès est instruit par Absalon (Thorkild Roose) un prêtre luthérien d'âge mûr encore sous la très forte influence de sa mère (Sigrid Neillenda) qui supporte mal son remariage avec la très jeune Anne dont la séduction est à ses yeux déjà en soi un péché. Le retour du fils d'Absalon va sonner le glas pour Anne qui va naturellement tomber dans les bras de cet homme plus jeune. A travers l'opposition entre les deux femmes se confrontent l'intolérance et la soif de liberté. Une intolérance symbolisée par le procès inique que mène Absalon contre une vieille femme dont le corps sans défense est livré au bourreau. Images insoutenables que Dreyer alterne avec celles idylliques des deux jeunes amoureux qui unissent leurs corps et leurs âmes au sein d'une nature bienveillante sublimée par la musique extatique de Poul Schierbeck. Courts moments de félicité et de rêverie pour Anne qui sera rattrapée par la détermination de la mère d'Absalon, gardienne farouche de l'ordre établi. Comme il le fait depuis ses débuts au temps du muet ("Le maitre du logis"1925), Dreyer fustige la lâcheté de l'homme qui ne sait que masquer ses faiblesses et ses turpitudes derrière des institutions construites par lui dans ce seul but. Film somptueux, sans doute le plus maitrisé de Dreyer, "Jour de colère" tout comme "La Passion de Jeanne d'Arc" dénonce la perversion de la religion chrétienne par ceux qui la représentent.