Arlésienne depuis près de 15 ans, le quatrième opus de "Jurrasic Park" voit enfin le jour avec un casting entièrement renouvelé (à l’exception de B.D. Wong, second rôle mineur qui s’offre un retour inattendu) et une intrigue qui se veut comme un renouvellement de la saga qui reviendrait aux sources. La note d’intention est louable et l’idée de faire, enfin, ouvrir ses portes au fameux parc avorté du film de Spielberg, ne manquait pas d’attrait. Mais, autant le dire tout de suite (et malgré le raz-de-marée provoqué par cet épisode au box-office), "Jurrasic World" est très loin de la qualité de "Jurrasic Park" et confirme, une fois pour toutes, qu’il est tout simplement impossible d’égaler ce chef d’œuvre qui appartient à une autre époque (les productions Amblin des années 80 et 90, spectaculaires et intelligentes où se mêlaient horreur, aventures et poésie) et qui a ébranlé le monde des effets spéciaux (la première apparition du T-Rex reste dans toutes les mémoires). Or, "Jurrasic World" ne propose rien de vraiment révolutionnaire sur le plan visuel et n’a pas le petit supplément d’âme qui fait qu’un film vous marque durablement. Certes, il ne s’agissait pas de l’ambition du film, qui a au moins cette lucidité et qui va même jusqu’à jouer avec l’iconographie et la place dans la culture populaire de son illustre prédécesseur. Et c’est sans doute la principale qualité du film : il sait qu’il ne surpassera pas "Jurrasic Park" et se montre même très conscient de l’état actuel du cinéma hollywoodien dont, paradoxe incroyable, il est l’un des fers de lance affirmés pour cette année 2015. Il faut voir la charge, à peine voilée, des scénaristes contre les blockbusters hollywoodiens
(représentés par l’Indominus Rex, le nouveau dinosaure créé de toutes pièces par les humains)
, adeptes de la surenchère et avides de répondre au besoin croissant de spectacle du public… au détriment d’un divertissement plus pur et traditionnel
(représentés pas les dinosaures stars du premier film, à commencer par le T-Rex et les Raptors)
. Le final de "Jurrasic World" vient
confirmer cette critique
, plus que surprenante dans une production de cet acabit, et nous offre un petit moment de nostalgie qui avait été déjà bien entretenu par le biais de différents vannes meta bien senties
(le technicien et son T-shirt à logo…)
et de clins d’oeils parsemés ici et là
(le thème de John Williams, la découverte d’un des anciennes jeeps…).
Dommage, cependant, que le réalisateur Colin Trevorrow n’ait pas davantage suivi les critiques de son propre scénario et qu’il ait laissé passé certains défauts qui viennent considérablement affaiblir la portée du film. Les effets spéciaux, tout d’abord, ne sont pas toujours un modèle de réussite (un comble pour la saga !) et viennent, en tout état de cause, décrédibiliser l’histoire, ce qui empêche ce sentiment d’immersion si parfait qu’on ressentait sur le premier opus. Le storytelling est l’autre gros défaut du film puisque "Jurrasic World" fait le choix de multiplier les arcs narratifs et, donc, les enjeux dramatiques… sans, pour autant, les exploiter correctement (ou, à tout le moins, leur faire prendre une direction originale) et, surtout, en les faisant se rejoindre de façon un peu artificiel. On a, ainsi, droit,
au voyage de deux gosses (Ty Simpkins et Nick Robinson, sans grand intérêt) dans le légendaire parc, au quotidien névrosée de la directrice du Parc (Bryce Dallas Howard qui passe le film à courir en tailleur et talon haut), à l’histoire d’Owen (Chris Pratt, définitivement so cool), accompagné de son pote Barry (Omar Sy qui fait le boulot), dresseur de raptors qui voit venir le danger avant tout le monde mais qui n’est pas pris au sérieux mais, également aux magouilles de l’Expert en sécurité (Vincent d’Onofrio) qu’on voit venir de très loin… qui vont, bien évidemment, se croiser lors de la catastrophe annoncée (qui manque, d’ailleurs, singulièrement d’inventivité).
"Jurrasic Park" ne s’éparpillait pas ainsi et été parvenu à raconter une histoire cohérente qui faisait bloc (Spielberg étant un conteur de génie, il est vrai). On a davantage l’impression, ici, de se trouver devant un film catastrophe de Roland Emmerich (ce qui n’est pas vraiment un compliment sur le plan scénaristique). Heureusement, une fois encore, que le réalisateur peut s’appuyer sur les acquis de la saga et qu’il s’autorise, par moment, quelques facéties qui auraient pu être ridicule mais qu’il parvient à faire passer, à commencer par
la reconversion des Raptors
(la cool attitude de Chris Pratt aide beaucoup, ceci étant dit). Au final, "Jurrasic World" n’est pas la renaissance espérée (et impossible) mais reste un divertissement étonnement corrosif (à condition d’être sensible à ce degré de lecture) et tout à fait appréciable… surtout pour ce qui n’ont jamais vu le premier film et qui ne souffriront pas de la comparaison.