AVERISSEMENT: POUR QUE CETTE CRITIQUE SOIT COHERENTE ET LISIBLE, LES SPOILERS NE PEUVENT ETRE CACHE. Cela faisait plus de quatorze ans que l'on n'avait plus vu les dinos de ''Jurassic Park''. Le dernier épisode, ''Jurassic Park 3'' (2001) de Joe Johnston n'avait pas eu les résultats escomptés, tant au niveau du box-office qu'au niveau des critiques. ''Jurassic World'' venait en 2015 ressuciter la juteuse franchise crée en 1993 par Steven Spielberg. Et la ressuciter pour un bout de temps vu le score qu'a obtenu ''Jurassic World'' au box-office : plus d'un milliard et demi de recette ! Une nouvelle trilogie fut ainsi lancée, Spielberg se retrouvant producteur délégué et c'est un inconnu Colin Trevorrow qui est en charge de la réalisation et du scénario (avec trois autres scénaristes).
Par rapport à l'histoire, ''Jurassic World'' fait suite au premier ''Jurassic Park'' tout en ignorant les événements des épisodes 2 et 3. Malgré l'échec de l'entreprise de John Hammond, un parc a bien été ouvert sur Isla Nublar, dirigé par Simon Massrani (Irrfan Khan). Le parc ouvert depuis vingt ans fait chaque année le plein de spectateurs qui finissent par se lasser des dinosaures. Les généticiens ont alors l'idée de créer une nouvelle race de dinosaure : l'Indominus Rex, plus dangereux et plus spectaculaire. Mais (oh ! Surprise!) la charmante bébête s'évade. La scientifique Claire Dearing (Brice Dallas Howard) et le dresseur de velociraptor Owen (Chris Pratt) partent alors à la recherche des cousins de Claire, perdu dans ''Jurassic World''.
Le pitch de départ est bon à double titre. Première bonne idée sur le papier : le fait que l'intrigue (et le danger) fasse irruption alors que le parc est bien ouvert et actif. Sur le papier toujours, on pouvait donc s'attendre à un film très sombre où le nombre de victime ne cesse de croître. Autre bonne idée : les origines de cette nouvelle menace qu'est l'Indominus Rex. Un jolie parallèle peut-être établi entre la création de ce monstre et l'activité d'Hollywood. Ce cinéma cherche toujours à faire plus, à mettre plus d'action, plus d'effets spéciaux, plus, plus, plus... Hollywood cherche toujours à se dépasser pour impressionner le spectateur. Idem avec l'Indominus Rex de ''Jurassic World''. Ce dernier est crée pour satisfaire les besoins grandissant des spectateurs, avides de découvrir de nouvelles expériences. L'Indominus Rex est pour faire simple le blockbuster ultime des dinosaures, celui qui doit attirer les foules. Le maître d'oeuvre de ce monstre est l'indien Massrani, une grande fortune. C'est un protagoniste pertinent qui renoue avec la philosophie de John Hammond. Comme son père spirituel, il ne cherche pas foncièrement à se faire de l'argent, tout ce qu'il veut, c'est amuser les gens. Il incarne un peu la vision positive du gigantisme et de la démesure américaine : on fait plus non pour l'argent mais pour faire plaisir aux gens. Le personnage est bien l'une des seuls qualités du film.
On pourrait attaquer l'absence de partis-pris de mise en scène. Excepté les tous premiers plans (naissance de dinosaures la grosse patte qui est en fait... la patte d'un oiseau!), on nage dans l'anonyme hollywoodien. Ajoutez à cela que les dinosaures en effets spéciaux ne procurent aucun frisson. Mais le plus grave se situe à un autre niveau. ''Jurassic World'' est dramatiquement et même idéologiquement inabouti. D'abord, la caractérisation des protagonistes est éberluantes. C'est particulèrement flagrant avec Grey et Zach, les deux enfants de services. Grey n'a pour seul critère le fait qu'il connaisse bien les dinos : c'est le même personnage que Tim dans ''Jurassic Park''. Mais le pire c'est l'adolescent Zack. On croirait à une blague. Qu'est ce que c'est cette caricature périmée et poussée à l'extrême de l'adolescent qui fait la gueule ? Seul trait de caractère du protagoniste : il aime les filles. Et c'est tout. Littéralement, il ne fait que reluquer les filles. On se demande comment, au début du XXI ème siècle, on en soit encore à faire des portraits aussi grossiers. Typiquement la vision d'adolescent écrite par des adultes qui n'en ont jamais vus un seul (et qui ne l'ont jamais été). Pourquoi pinailler autant ? Parce qu'ils sont beaucoup trop présents à l'écran. Pour pas grand chose : disons-le clairement, les enfants dans la saga Jurassic Park, c'est ce qu'il y a de pire. Comment créer un semblant de suspense et de tension alors qu'on sait pertinnement qu'il ne peut rien leur arriver de mal. Les scènes les plus terrifiantes sont en fait celles qui concernent les adultes. Car ceux sont eux qui risquent à tout moment de se faire bouffer. Justement parlons de ce qui terrifie vraiment avec cette saga : la peur la plus primitive qui soit, celle de se faire dévorer vivant. Et bien, ''Jurassic World'' fait fort : à aucun moment, on ne ressent cette terreur. La raison ? Elle est dû à la grande erreur dramatique du film. On a l'impression que Disney a racheté la franchise. Il n'y a qu'à voir à quel point le film est prude sur tout ce qui pourrait être traumatisant. Alors oui, il y a des morts, dévorés par les dinosaures. Mais ces morts sont au choix des ''méchants pas bô'' ou des personnages très sommairement présentés qui ne semblent exister que pour se faire dévorer. Ce qui marquait les esprits dans les Jurassic Park (ou dans Alien), c'était la peur de voir des personnages héroïques ou sympathiques se faire dévorer. Car dans le premier ''Jurassic Park'', il n'y avait pas que les méchants Gennaro et Nedry qui y passaient, il y avait aussi les innocents Muldoon et Arnold qui eux avaient droits à plus d'une scène d'exposition. Ici, qu'est-ce que cela peut nous faire que Jean-Michel Lambda se fasse bouffer ? Ou que le méchant se fasse déchiqueter tout cru ? C'est une erreur pure et simple.
Et c'est là qu'un paradoxe surgit. Si le défaut précédent était quelque chose d'innocent (ou plutôt de naif), le film est tout sauf innocent. On découvre à la fin que le film est aigre et même douteux moralement. Douteux sur deux points. Déjà, le débat autour de ce qui est crée dans le film ne donne lieu à aucun suspense. On sait que la création de l'Indominus Rex est catégoriquement une erreur... là où la résurrection des dinos dans le premier opus nétait pas si tranché que cela. Le premier opus laissait plus de place aux débats. Ici, il nous faut parler du seul protagoniste présent à la fois dans ''Jurassic Park'' et dans ''Jurassic World'' : le Dr. Henry Wu. Scientifique sympathique et quelque peu candide dans le premier épisode, il est dans ''Jurassic World'' un très vilain scientifique. ''Comment, vous n'entendez pas assez le fait qu'il est méchant ?'' nous demande soucieux Colin Trevorrow. ''Pas de problème, et bah, on va l'habiller tout en noir. Parce que les méchants sont toujours tout en noir'' ajoute Trevorrow. Un personnage qui procède à la création de l'Indominus Rex, lequel a la capacité de... devenir invisible ! C'est encore une des sempiternelles incohérences de la saga Jurassic. Quel intérêt de conférer l'invisibilité à l'Indominus Rex ? Aucun. Encore moins l'intérêt marketing (payer sa place pour ne voir aucun dinosaure ? Pas le meilleur argument commercial possible). Mais le deuxième point criticable, c'est la fin qui passe mal. Cette dernière s'emmêle les pinceaux et pire part dans un discours totalement contradictoire (le réalisateur, on le verra ne semble d'ailleurs même pas assumer sa fin). Car outre les dinosaures, Owen doit aussi affronter le responsable de la sécurité Vic Hoskins (Vincent D'Onofrio), lequel veut faire des raptors de veritable armes de guerre. Ce dernier décide d'attaquer l'Indominus Rex en se servant des vélociraptors d'Owen. Le résultat est désastreux : les raptors se rallient à l'Indominus Rex (qui a aussi de l'ADN de raptor, l'intérêt commercial ? Aucun) et boulottent Vic. Mais c'est la fin qui vient ruiner tout ce qui a été posé. A la fin du film, les héros sont acculés par l'Indominus Rex. Ils sont alors sauvés par... les raptors qui retournent encore une fois leur veste. Mais... QUOI ? SCANDALE ! Ça y est : nous ne sommes plus devant les féroces dinos de Jurassic Park, mais bien devant les gentils bêtes de la série ''Le Petit Dinosaure'', le tout sponsorisé par Disney. Mais ce n'est même pas le problème. Le problème, ce n'est pas qu'on soit devant quelque chose d'édulcoré où il y a bien de gentils dinosaures et des méchants dinosaures. Le problème, ce n'est pas que désormais, les dinosaures ont l'amabilité de ne tuer que les méchants. Le problème, c'est le discours complètement contradictoire du film. Dans un premier temps, le réalisateur semble dire la même chose que Jurassic Park : la nature reprend toujours ces droits, l'homme ne peut espérer pouvoir tout controler (y compris les raptors). Ainsi ; il est logique que les raptors rallient l'Indominus. Mais que peut bien signifier ce second volte-face ? Pourquoi les raptors se rallieraient-ils finalement à la cause d'Owen ? Sans que l'on est de vraie réponse, on doit apporter un triste constat : Trevorrow en voulant sauver les héros dresse l'apologie du contrôle et défend, sans même s'en rendre compte la théorie du méchant Vic Hoskins. Les vélociraptors peuvent bien être des armes pour les humains, et pire peuvent être asservis. Nous voilà donc devant un film qui incite, incite et encore incite à produire des dinosaures, pourvu qu'on puisse bien les controler (à la manière d'Owen qui apprivoise parfaitement ses dinosaures). En d'autres termes, l'hypocrisie du film, est de désapprouver l'armée et sa volonté de faire des raptors des armes (via la mort de Vic) alors que la fin du film vient finalement leur donner raison. Message qui en définitive s'avère être très douteux.
L'idée était bonne : créer un super dinosaure et présenter un parc qui a vraiment ouvert sont des idées grandement populistes. Mais bardé de clichés, d'incohérences et d'acteurs moyens (Chris Pratt confirme être un sous Ethan Hawke), ''Jurassic World'' finit par râmer dans la semoule. Et à confectionner un discours complètement contradictoire en fin de film. Comme Star Wars deux ans plus tard, Jurassic Park connaît une renaissance discutable, avec des films presque décérébré. Reste à savoir si les suites sauront être plus satisfaisantes.