Melville est l’un des grands maîtres du film noir bien de chez nous, et c’est peut-être, entre tous, à ce Samouraï qu’il doit d’être ainsi connu. Symbole de solitude, comme l’explique l’incipit, il prend les traits d’un Alain Delon tueur à gages, raide et taiseux, flegmatique et indépendant, qui promène son imper et son borsalino, la clope au bec, le long des rues ternes de la ville dite lumière. Sa vie entière est une filature. Il prépare ses arrières soigneusement, et puis il glisse, il se faufile, il s’enfuit par un détour, s’échappe au travers d’un souterrain. Il ne pose aucune question, car il ne veut rien savoir, et il reste ainsi insoupçonnable. Le spectateur le préfère muet, du reste – loquace, il perd tout son charme. C’est un défaut récurrent chez le cinéaste : des dialogues rigides, énoncés par des acteurs perdus. Mais il excelle ailleurs. Et plus particulièrement dans l’atmosphère. Ici elle est grise, chaude, relevée parfois d’accords feutrés de jazz, ou d’arpèges à l’orgue ensorcelants. Une lumière tamisée qui se diffuse sur des gestes silencieux, des regards perçants, un montage qui alterne cuts brutaux et travellings profonds, une tension latente qui nous tient fermement sans qu’on ne sache trop comment. A mi-chemin entre la Nouvelle vague et les polars saxons, ce draft au Cercle rouge et à L’armée des ombres, source avouée de nombreux successeurs, marque un jalon incontournable du genre, et sûrement pas uniquement en France.