Dès la première image, nous savons que nous sommes chez Melville, et nous sentons que le film va synthétiser tout ce qui fat son style : une chambre sombre, dépourvue de tout détail superflu, une chambre presque vide pour ne garder que l'essentiel. Une chambre épurée qui ressemble plus à une prison, idée relayée par la cage de l'oiseau. Le seul mouvement est constitué de la fumée qui s'échappe de la cigarette du héros, couché et immobile sur son lit. Une phrase s'inscrit sur l'écran : "Il n'y a pas de solitude plus profonde que celle du samouraï, si ce n'est celle du tigre dans la jungle... peut être.". Un plan, et tout est déjà là : épure, héros solitaire, prisonnier de son destin, animalité de l'homme, silence privilégié. Melville nous emmènera dans une tragédie moderne, nourrie à la fois de l'influence du film noir américain et du film de samouraï japonais. Un film qui sera épuré, nous faisant voyager dans des décors réduits à leur expression la plus pure, entre l'univers sombre du héros et l'univers plus lumineux de l'autre personnage, la pianiste (le club de jazz, son appartement). Nous rencontrerons en fait une galerie de personnages marquants, tous plus ou moins solitaires, chez qui la frontière entre le bien et le mal est floue. Ainsi, le commissaire obsédé par Costello, qu'il apparente à un loup, comme s'il incarnait un chasseur en quête de proie, n'est peut être pas plus vertueux que lui. Michael Mann s'inspirera de ce parallèle au moment de réaliser "Heat". Melville prend son temps pour créer une atmosphère, pour faire monter lentement la tension, en jouant sur la précision de son montage et la puissance de ses images. Les dialogues sont alors réduits à l'essentiel. La fameuse scène de poursuite se déroule ainsi durant de longues minutes sans qu'un seul mot, ou presque, soit prononcé. Et pourtant, on veut toujours suivre ce héros, cet antihéros, tueur solitaire, froid, inexpressif, dont on ne connait presque rien, mais auquel on s'attache malgré tout. Alain Delon trouve peut être là son meilleur rôle ; en tout cas, son jeu s'adapte à merveille avec les personnages melvilliens. Avec ce personnage du samouraï Costello, nous avons peut être l'archétype du tueur solitaire et mystérieux, un modèle qui fascinera bon nombre de cinéastes postérieurs, de John Woo ("The Killer") à Nicolas Winding Refn ("Drive"). Nous pouvons donc voir aujourd'hui pas mal de descendants à cet immortel personnage de Costello ; comme quoi, il n'était pas si solitaire, en fin de compte.