Manderlay n'est pas un film séduisant. En témoigne la minimisation du décor, qui, pour certains, enlève déjà tout attrait esthétique. En réalité, elle permet de concentrer toute l'intensité du récit dans les personnages, car c'est bel est bien l'homme qui intéresse ici von Trier, et rien d'autre. Les mouvements de caméra viennent souvent aider le réalisateur : très gros plans ou, au contraire, vues aériennes (qui montrent un cadre plat et vide où le seul mouvement est celui des hommes) contribuent à faire de l'humain le centre du film. Manderlay est plus une lourde dissertation qu'un film léger et conventionnel. Une dissertation ? Non, une fable plutôt. Car c'est bien le récit que von Trier utilise pour donner matière à réfléxion, un récit par ailleurs remarquablement ficelé, avec des moments où la tension est au sommet (lorsque Grace doit tuer la vieille criminelle), de grandes surprises et révélations, des personnages aux multiples facettes, etc. Sujet de la fable ? l'idéologie. N'est-on pas mieux esclave que libre, puisqu'esclave c'est sur son maître qu'on peut rejeter la faute de sa condition, tandis que libre, on ne peut s'en prendre qu'à soi-même? Doit-on, dès lors, imposer la démocratie (dont le cinéaste montre habilement les limites et l'hypocrisie) ? Une fable politique, donc, et qui prend le contrepied du politiquement correct : les noirs, présentés au départ comme des opprimés, et Grace comme un messie, seront, les uns comme les autres, montrés à la fin comme des humains, avec des qualités et des défauts. D'où l'ambiguité du message du film. Vous cherchez des méchants et des gentils? Passez votre chemin : Lars von Trier déjoue le manichéisme du politiquement correct, pour mettre blancs et noirs sur un vrai pied d'égalité. Le film est-il vraiment une critique des Etats-Unis et de la condition des noirs outre-Atlantique? Je ne pense pas. Ce contexte ne sert que de support à une réflexion bien plus universelle. Beau film ? Non. Reflexion intéressante ? Oui !