Le pari était déjà risqué (et le sera encore plus si la trilogie se complète) puisque le système de mise en scène n'était pas nouveau. En effet Manderlay reprend totalement la forme "théâtrale" de Dogville, et à aucun moment le réalisateur s'en départit. Ce qui peut être louable en soi (faire une trilogie basé sur un esprit unique, particulier), mais assez dommageable à mon sens ; je suis plutôt partisan du "une idée, un film". Réitérer un même système plus tard, la découverte disparue pour laisser place à un (relatif) ennui, cela déçoit. Puis j'aime l'idée que tel décor convient à telle histoire (en ce sens le décor de Dogville me paraît plus "serré", petit, donc plus légitimement adapté à ce style, que Manderlay, plus "large" dans l'espace occupé).
Sur la forme également - je ne me rappelle plus si c'était le cas dans Dogville, même dans ses autres films - j'ai été stupéfait (négativement parlant) par l'impossibilité de la part de Lars von Trier de laisser tourner sa caméra. Même pour deux dialogues il se sent obligé de couper la prise, cela m'a gêné (en tout cas à l'époque en visionnant Dogville je ne l'avais pas remarqué, ou bien oublié).
Au-delà de ces considérations purement "esthétiques" (peut-on parler d'esthétisme, enfin le côté positif et élogieux que ce mot laisse croire), le fond, finalement, suit une trajectoire assez similaire que mon constat sur la forme : une originalité et cruauté perdues, puisque déjà connues dans Dogville, peut-être tirées encore plus loin ici... (ce qui pose la question du : doit-on aller encore plus loin ? Est-ce utile pour l'histoire ? C'est peut-être le problème fondamental de Manderlay pour moi
L'idée d'utiliser le thème de l'esclavage ne m'avait au début pas vraiment séduit. Car contrairement à Dogville où, sur un terrain commun d'individus tous égaux de "base", des déchirements se créaient (chose qui me plait en temps normal, surtout au cinéma), ici on part déjà sur un pitch de base l'inégalité (avec volonté de la transformer en égalité). Sauf que là, avec Von Trier aux commandes, dans un besoin maladif et régulier de surprendre (quitte à tomber dans le grotesque - ceci étant Dogville n'y avait pas échappé non plus à quelques reprises), on passe du politiquement correct à l'incorrect, et certes on peut vouloir aimer voir sa propre morale autant mise à rude épreuve, seulement que ressort-il de tout ça ? Que doit-on penser, concrètement, du message, et de tout ce que cela évoque, implique, au-delà de la trame pure ?
Von Trier se heurte à une absence de réponse et/ou de réflexions pertinentes sur le sujet, pire encore selon moi, il ne fait même pas poser de questions (ou alors très peu). Pourtant, il y a énormément de dialogues, l'écriture reste d'une qualité indéniable chez Von Trier. Comme si son maniérisme et son style (dans le discours), très accentués sur la fin, prenaient le pas sur tout l'intérêt "philosophico-métaphysique" de l'oeuvre, si l'on peut parler comme ça, que semblait avoir a priori Manderlay. C'est du gag, quelque part, Von Trier fait mal, surprend, mais j'ai l'impression, intellectuellement parlant, de ne strictement avoir rien appris, alors que, pour 2h20 de dialogues sur un tel sujet, et même sur le déroulé du film en lui-même (jusqu'au dernier quart d'heure grosso modo), on y croyait sincèrement.
Pas mal de bonnes idées semblaient s'accumuler au fur et à mesure qu'avançait le film (construction d'un "Etat" dans une petite communauté par exemple - et les contraintes qu'il engendre, l'idée de l'oppression (nécessaire ?) à ce style de vie, et autres), et, au fur et à mesure que Lars Von Trier nous fait du Lars Von Trier (tous les personnages sont des connards finis et ça y va de mal en pis), voilà qu'un dernier soubresaut vient, comme surenchère extrême, asséner le coup de grâce, saisissant le spectateur (niveau surprise) mais délivrant le film lui-même de tout intérêt possible (peut-on prendre une telle chose au sérieux ?).
Quant à la toute fin et l'apparition du générique... Je ne suis même pas certain d'avoir compris le message et, quel qu'il soit, je préfère ne pas y penser, en tout cas cela m'a semblé vulgaire - au regard déjà de la mise en scène sobre qu'avait décidé d'utiliser le réalisateur.
Si on apprécie le radicalisme de Lars Von Trier, on aimera, et on attendra impatiemment la troisième volet. Si l'on commence à s'user de ce jusqu'au-boutisme du réalisateur, on espérera, quoique sur un sujet similaire, cela ne pose aucun problème, que le réalisateur fasse enfin la part des choses, entre ses fantasmes propres (que je trouve parfois ridicules dans leur extrémisme) et la réalité concrète de ses histoires, pour nous servir une fable maladive et réflexive telle que Melancholia. Il en a les moyens (et il l'a prouvé), c'est déjà 50% du chemin de parcouru.