Un film signé Yves Boisset, c’est la promesse d’une attaque en règle des dérives politiciennes de la société des années 70, où rode encore le spectre de la Guerre d’Algérie, où la Gauche n’a pas encore pris le pouvoir et où les mouvements contestataires avaient le vent en poupe, après avoir été longtemps étouffés dans la France Gaullienne. Pur produit de son époque, Boisset ? Un peu sans doute mais ce serait oublier un peu vite que le talent à part du réalisateur, qui lui a permis de faire accepter le manque de subtilité de ces partis-pris. Car, soyons clairs : dans les films de Boisset, on trouve souvent d’un côté les gentils (la plupart du temps, les travailleurs, les pauvres, les immigrés…) et de l’autre, les méchants (les patrons, les politiciens, les militaires…) sans qu’il ne s’encombre de beaucoup de nuances. Boisset est un homme de Gauche affirmé et entend le revendiquer dans cette France giscardienne (comme dans celle de Pompidou avant lui) et dénonçant les injustices et l’oppression des faibles par les puissants. Mais, une fois encore, là où bon nombre d’autres metteurs en scène partageant sa sensibilité politique nous gonflent à grand coups de films austères, lents et moralisateurs, Boisset a compris que son message serait beaucoup plus efficace dans un écrin de qualité. Et il faut bien admettre que ses films épatent souvent par la qualité de leur mise en scène, le soin apporté aux dialogues et la richesse époustouflante de leur casting. Qui, aujourd’hui, peut se vanter de faire des films aussi politisés et risqués (les menaces de morts sur le tournage étaient légions chez Boisset) avec des acteurs aussi prestigieux ? L’époque a changé, certes mais il faut bien admettre que Boisset, aussi bourrin et orienté qu’il ait pu être, manque au cinéma français… Avec "Le Juge Fayard dit le Sheriff", il ne renie aucun de ses préceptes puisqu’il nous raconte, deux à peine après les faits, l’assassinat du Juge Renaud (qui date de 75) et dénonce les circonstances éminemment politiques de cet assassinat en prenant le soin de dissimuler le moins possible l’identité des protagonistes. On retrouve, ainsi, le gang des Lyonnais (rebaptisé le gang des stéphanois), le ministre Chalandon (devenu ici le député Chalabert), le financement occulte des partis politiques et le SAC qui, quant à lui, est clairement désigné. Le film est immédiatement ancré dans une réalité qui n’a pas manqué de provoquer un certain malaise lors de sa sortie et qui lui confère, aujourd’hui, une aura unique. Le propos du ce "Juge Fayard" est, d’ailleurs éminemment polémique et ne manquera pas de donner des sueurs froides aux spectateurs d’aujourd’hui sur les mœurs de la société des années 70 (ou, plus précisément, sur l’impunité dont bénéficiait certains à une époque où les médias et Internet n’avait pas leur mot à dire). Boisset ne se contente pas de faire dans la dénonciation bête et méchante puisqu’il n’oublie pas d’aérer le récit par des moments plus légers (grâce aux méthodes atypiques du juge et à des dialogues payants) et qu’i s’autorise des séquences d’action intéressantes qui viennent rythmer le film. II a, également su soigner ses personnages, aidés, il est vrai, par des acteurs d’exception. Patrick Dewaere, évidemment, campe un juge justicier époustouflant et démontre, une fois encore, que l’acteur était capable de transcender n’importe quel rôle par sa jeu intense et sa capacité à aller à l’encontre des attentes du public. Son juge n’est pas un chevalier blanc mais un personnage avec son passé, ses convictions et ses défauts qui, de surcroît, est envoyé au feu par son syndicat (une des grandes idées du film ou, à tout le moins, une des plus subtiles tant elle rétablit un certain équilibre dans le manichéisme ambiant). Les seconds rôles sont tout aussi incroyables, de l’épatant Philippe Léotard en archétype du flic cool à l’incroyable Jacques Spiesser en collègue pressant, en passant par une galerie de salauds mémorables (Michel Auclair, Marcel Bozzufi, Daniel Ivernel, Jean Turlier, Jean-Marc Thibaud…) et de gueules de cinéma (Jean Bouise, Henri Garcin…). Seule le rôle d’Aurore Clément m’a laissé un peu dubitatif. Je peux comprendre l’intérêt de mettre en couple le Juge rouge avec une prof libertaire qui critique toute forme de répression (et, donc, ce qu’il représente), ce qui permet de nourrir le personnage et de ne pas le mettre sur un piédestal. Mais, pour autant, j’ai trouvé qu’elle été beaucoup trop perchée par moment, voire outrageusement cabotine (voir sa réaction à la mort de son lapin). "Le Juge Fayard dit le Sheriff" souffre, tout de même, d’un certain nombre de défauts. Tout d’abord, le dernier quart n’est pas forcément à la hauteur des trois premiers, notamment sur le plan de l’intensité. II est vrai que c’est souvent l’écueil de ces films dont on connait la fin (forcément tragique) mais force est de constater que le rythme se perd un peu à mesure que le dénouement approche. J’ai, également, trouvé que la scène finale
(où tous les pourris de l‘histoire se retrouve réunis, tout sourire, après la mort du Juge)
était franchement trop caricaturale pour convaincre totalement. Ce côté
"grand complot des élites corrompus contre le petit peuple honnête"
est, certes, la quintessence du cinéma de Boisset (et son charme aujourd’hui) mais, il reste, également, sa limite. Sans être un chef d’œuvre absolu, Le Juge Fayard dit le Sheriff reste un film rare et, à ce titre, doit être vu… ne serait-ce que pour éveiller des vocations quant à ce genre de cinéma tombé en désuétude.