Voilà un petit film auquel il n'a pas manqué grand chose..... pour avoir été un grand film. C'est l'histoire d'Antoine, qui vivote en vendant des photos à un magazine. Il aurait pu, sûrement, devenir un grand photographe, mais, voilà, non. Il vivote, donc, en sauvage, sans vie sociale, sans hobby, sans amis. Sans amis, à part un petit gamin de son immeuble, Mateo, (Max Baissette de Malglaive) qu'il babysitte plus souvent qu'à son tour -à vrai dire, quand on voit l'état d'imprégnation alcoolique avancée dans lequel Antoine termine ses journées, on se demande qui garde l'autre.... Mateo est aussi un peu un sauvage dans son genre; il n'aime pas trop l'école, où il n'a pas de copains, et adore enfiler par dessus son jean un déguisement de Blanche-Neige. Ces deux là s'entendent à merveille.
Benoît Poelvoorde est évidemment très, très bien dans ce rôle. Il fait partie de ceux, comme Bourvil, qu'un physique atypique a destinés à faire rire, alors que cela ne correspondait pas à leur nature profonde. Pourquoi Antoine en est il arrivé, à la quarantaine, à un tel état de solitude, de manque d'envie et de laisser aller? Ca, on n'en saura rien. Toujours est il qu'un jour, il entend sa voisine d'en face jouer (et comment!) l'Etude révolutionnaire de Chopin, et il prend son Nikkon pour la photographier furieusement, petit visage concentré sous une crinière sauvage. Elle sort, il se penche pour photographier le porche, mais non, c'est sur le toit qu'on la retrouve, marchant en équilibre sur le muret, et Antoine multiplie les photos -jusqu'à ce qu'elle saute. Il va alors s'occuper de prévenir les secours, de l'accompagner à l'hôpital, où il viendra régulièrement prendre de ses nouvelles. C'est le début d'une amitié dont Matéo est jaloux, jusqu'à ce qu'ils deviennent un vrai petit trio familial. Pourquoi Elena (l'intéressante Ariane Labed) a t-elle voulu se suicider? Ca, on ne le saura pas non plus. Certes, elle doit avoir une famille bourgeoise mais pas simple, avec un frère borderline qui fout le bordel, mais ça ne semble pas une motivation suffisante, alors que par ailleurs elle prépare une thèse d'Egyptologie et semble avoir plaisir à exercer quelques heures par semaine dans un institut pour enfants à problèmes. Antoine ne cesse de la photographier, le plus souvent à son insu, par la fenêtre. Et à travailler et retravailler ses photos. On est entre Blow up et Fenêtre sur cour.... Jusqu'à ce qu'il les montre à Elena, ces photos -et qu'elle le rejette, horrifiée.
Le film de Fabienne Godet est joli, mais un peu mou du genou. On s'y ennuie, par moments. Il est plein de traces qui ne vont nulle part, comme dans les forêts les laissées d'animaux. L'amie héroïnomane, qui ne sert pas à grand chose dans la scénario (sauf à montrer qu'Elena a très bon cœur en soutenant les collègues en difficulté); le piano, ce piano qu'Elena pratique en virtuose et dont on s'imagine, au début, qu'il va tenir une place importante dans le film, mais non (si on voulait nous présenter la jeune fille comme juste un amateur agréable, fallait choisir une moins bonne bande sonore...); le passé d'Antoine; le présent d'Elena, tout cela est flou, rien ne va au bout.
Le vrai sujet du film, c'est le photographe comme mangeur de vie. Les peuplades indigènes qui refusent les photos de peur qu'on ne leur vole leur âme ont bien raison. Et nous autres, qui appuyons sans répit sur le petit bouton, passant de la tour de Pise au petit dernier mangeant une glace, que cherchons nous, sinon à retenir le temps, à lui prendre ces instants pour qu'ils échappent à son impitoyable destruction? Si Antoine avait été moins introverti, moins egocentré, il aurait compris qu'en fixant ces moments de funambulisme sur la corniche, c'est l'âme incertaine et confuse d'Elena, à ces moments là, qu'il s'appropriait (il est vrai que s'il avait été moins egocentriste, il se serait aussi douté qu'elle allait sauter....
Manifestement, cette jeune femme, Fabienne Godet, a quelque chose à dire. Intéressante découverte. A suivre!