C'est l'histoire d'un jeune homme de "bonne famille" (famille bourgeoise de mélomanes) qui était promis à une belle carrière de pianiste, mais qui a tout plaqué. Un jeune homme en errance dans un monde où il ne trouve pas sa place : ni chez les riches, ni chez les pauvres, ni chez les intellos, ni chez les "beaufs" de l'Amérique profonde. Les difficultés pour communiquer avec sa famille, les insatisfactions amoureuses, le désarroi existentiel le poussent à prendre sans cesse la fuite, vers un ailleurs indéterminé.
Avec ce personnage paumé (et en filigrane le tableau d'une jeunesse perdue), mais aussi avec cette contestation de l'american way of life (culte de la réussite sociale, matérialisme...), le film s'inscrit complètement dans le courant du Nouvel Hollywood qui témoigne de l'émergence d'une contre-culture. Liberté de ton, faible dramatisation... on est loin des canons hollywoodiens classiques. Dans le sillage de Dennis Hopper, qui avait signé un an auparavant l'oeuvre phare de ce mouvement, Easy Rider, Bob Rafelson (dont c'est le deuxième film) exprime lui aussi un mal-être générationnel, un sentiment de révolte contre un système (social ou cinématographique) plutôt rigide et conservateur. Et il le fait bien, dans un style brut, modeste et touchant. Il y a bien quelques faiblesses dans le scénario (on pouvait espérer plus de développements sur les noeuds familiaux) et quelques soucis de montage (à cause, peut-être, d'un tournage rapide et d'un faible budget), mais l'ensemble sonne juste.
Et puis il y a Jack Nicholson (33 ans à l'époque). Sa carrière prenait alors son envol. Il avait été lancé par Roger Corman puis remarqué pour son rôle dans Easy Rider. Le rôle de Robert, ici, a été écrit sur mesure pour lui. L'acteur affirme son talent dans un registre qui lui sied à merveille, celui des personnages borderline, marginaux. Entre ironie et désenchantement, fougue et lassitude, il varie les rythmes et les intensités, en imposant une présence unique.
On note, par ailleurs, que Bob Rafelson s'est un peu inspiré de son parcours pour nourrir son film, lui qui a quitté une voie universitaire toute tracée pour partir à l'aventure et exercer mille et un métiers avant d'arriver au cinéma. Il a participé à des rodéos, travaillé à bord d'un cargo, joué dans un orchestre de jazz au Mexique, étudié la philo, fait le DJ pour une radio, écrit des scénarios pour la télé, oeuvré pour le théâtre d'avant-garde new-yorkais... Paradoxalement, en tant que cinéaste, il est aujourd'hui moins connu pour ses premiers films estampillés "Nouvel Hollywood" que pour ses films ultérieurs, plus classiques : Le Facteur sonne toujours deux fois, La Veuve noire, Aux sources du Nil.