Suite au succès en 1935 des « Trois lanciers du Bengale » d’Henry Hathaway produit par la Paramount, les studios sont à la recherche de sujets propres à la réalisation de films d’aventures exotiques sur fond de colonialisme britannique. En 1936, la Warner lance son duo de choc, Errol Flynn/Michael Curtiz sur le projet de « La brigade Légère » dont le cadre de l’action est tout simplement déporté de Crimée en Inde. En 1937 suit la Fox avec « La mascotte du régiment » de John Ford où Shirley Temple sera bien sûr la mascotte. En 1939, la Paramount remet le couvert avec « Beau Geste » de William Wellmann où Gary Cooper réendosse l’uniforme colonial. A son tour la RKO décide d’entrer dans la danse via un de ses nouveaux producteurs, Edward Small qui a auparavant acheté les droits de « Gunga Din », poème de Rudyard Kipling qu’il cède à la RKO dans l’optique d’en faire le thème de départ d’un film qui serait réalisé par Howard Hawks. Celui-ci demande à Ben Hecht et Charles MacDonald d’écrire le scénario. Le film devait être tourné en 1937. Le casting demandant beaucoup de temps, Howard Hawks s’engage pour « L’impossible Monsieur Bébé » , « screwball comedy » avec Cary Grant et Katharine Hepburn. Le film étant un échec financier avant de devenir avec les années un des films culte du genre, Hawks est écarté de « Gunga Din » qui est confié à George Stevens. Dans l’intervalle le scénario initial est retravaillé par Joel Sayre et Fred Guiol qui a auparavant réalisé des courts-métrages muets pour Laurel et Hardy. Comme une indication de mauvais augure quant à la tonalité à venir de ce film d’aventures coloniales peu conventionnel et pour tout dire assez déroutant. L’intrigue met en scène trois sergents britanniques de l’armée des Indes (Cary Grant, Douglas Fairbanks Jr. et Victor McLaglen)
qui s’entendent comme larrons en foire pour passer leur temps libre et même un peu plus à concocter des blagues potaches plutôt infantiles quand elles ne sont pas d’un goût douteux. Néanmoins très imprégnés de leur devoir militaire les trois soldats réputés pour leur bravoure sont envoyés en mission de reconnaissance dans un fort n’ayant plus donné de nouvelles depuis plusieurs jours. La mission périlleuse s’engage voyant les trois gaillards continuer à déployer leur désinvolture au milieu des tirs et des cadavres qui s’amoncellent
. À ce jeu c’est Douglas Fairbanks Jr. toujours très digne et élégant qui s’en sort le mieux, son personnage amoureux de la très séduisante Joan Fontaine complètement sous-employée, étant un peu le Monsieur Loyal du trio. De son côté Cary Grant voit son humour habituel tomber à plat car la plupart plus du temps en décalage total avec le contexte. Quant à Victor McLaglen qui pouvait être excellent quand il était dirigé par Josef Von Sternberg (« Agent X27 » en 1931) ou par John Ford dans « Mouchard » en 1935 qui lui valut un Oscar du meilleur acteur dans un premier rôle pas usurpé, il sombre ici dans le ridicule et le pathétique, visiblement très loin de son registre. Gunga Din, l’Indien se rêvant militaire de l’armée britannique qui mourra en héros, interprété par Sam Jaffe, l’homme-orchestre d’Hollywood gagne forcément en crédibilité placé en miroir du trio vedette. Reste, la maîtrise des scènes de combat par George Stevens et la vraisemblance des décors (tout a été tourné à Los Angeles, dans la Sierra Nevada ou dans les collines de l’Alabama). Faute de ne pas avoir su prendre résolument un parti, « Gunga Din » ne satisfait sur aucun des deux registres qu’il emprunte. Le film sans doute resté comme mythique dans la mémoire de ceux qui enfants l’on visionné sur l’ORTF, ne devrait peut-être pas être revu tant ses défauts sautent aujourd’hui à la figure. Si tel est le cas, l’exercice servira au moins à replacer « Les trois lanciers du Bengale » sur la première marche du podium avec « La charge de la brigade légère » suivis par « Beau Geste »