C'est en janvier 2000, soit quelques mois avant sa mort, que Claude Sautet accepte de se livrer à Nguyen Trung Binh et Dominique Rabourdit pour à peu près dix-sept heures d'entretiens sonores où il revient sur sa carrière et ses méthodes de travail.
De ses débuts comme assistant-réalisateur jusqu'à son dernier film, ce documentaire retrace toute la carrière cinéma de Sautet, raconté généralement par la voix-off de celui-ci ainsi que quelques intervenants, souvent ceux qui ont directement collaboré avec lui. Mis en scène sous une forme assez classique et chronologique, il n'aborde pas forcément tous les points en profondeur, se contentant parfois d'évoquer vaguement quelques pistes mais se révèle tout de même passionnant, surtout lorsque, comme moi, on est un amoureux du cinéma de Sautet, de sa vision de la vie, de l'humain et de ses acteurs.
Il n'évoque que très rarement la vie privée de Sautet si ce n'est qu'il était un grand connaisseur de musique, un homme de gauche mais conscient des limites de l'engagement et fumeur, préférant s'intéresser à son cinéma, ses rencontres, tournants ou encore acteurs. On n'y découvre alors plusieurs moments importants, comme lorsque Lino Ventura demanda à Becker un réalisateur pour Classe tous risques, sa période comme assistant, notamment avec Franju pour Les yeux sans visage, lorsqu'il s'est rendu compte avec Garçon! du changement à opérer dans son cinéma ou encore ses rencontres avec certains acteurs, notamment Michel Piccoli, Romy Schneider, Patrick Dewaere ou Yves Montand. Des acteurs avec qui il aura une relation particulière, étudiant via leur prisme la nature humaine, pour mieux montrer leurs vulnérabilités et par conséquent, celui des personnages interprétés, notamment Montand souvent dans des rôles de machos sûr de lui et maladroit ou Dewaere, dans un personnage proche de celui de Sautet.
L'aspect intéressant vient aussi de la vision qu'à Sautet de ses propres films, préférant Max et les Ferrailleurs et Quelques jours avec moi, mais aussi ses méthodes, notamment ses rapports avec les scénaristes et sa façon de s'intéresser aux gestes ou regards parfois plus qu'aux mots. On y découvre un Sautet en opposition avec le cinéma classique français et surtout hollywoodien mais aussi des éléments parfois surprenant comme sa critique du stalinisme dans Max et les Ferrailleurs. L'une des forces de ce documentaire se trouve aussi dans sa mélancolie et les souvenirs partagés par Sautet, notamment lorsqu'il évoque une scène de Vincent, François, Paul et les autres, celle où Piccoli dit à Montand "Ta gueule toi", avec les réactions des deux acteurs juste après la coupure caméra.
Difficile d'avoir un jugement juste sur ce documentaire qui n'aborde jamais vraiment en profondeur le cinéaste et ses méthodes, mais il n'est pas bien difficile de le trouver passionnant et d'y partager une certaine mélancolie lorsque Sautet, alors en toute fin de vie, raconte lui-même certains souvenirs ou anecdotes.