Comment ne pourrait-on pas s’étonner que les Milles et une nuit ne commencent comme un conte de fée pour ce jeune homme qui voit tomber dans ses bras une esclave forte intelligente vendu par un propriétaire débonnaire sur un marché où l’on ne trouve pas que des légumes vous l’aurez compris… De la découverte de l’amour à l’intrusion des déconvenues qu’il suscite, celui-ci s’emplit de poésie entre quelques arbres… « Le pubis caché entre les mains qui pourtant débordait… Poètes de Bakour, voyons si il est vrai que les poètes savent parler aussi de ce qu’ils n’ont point vu… »
Entre Alep la cité des milles péchés et la quiétude d’un petit village, le jouir se demande sous l’ombrelle ou dans la simple formulation d’une demande d’accompagnement pour vieillards surpris par la gaillardise en joie de s’adonner au voyeurisme en accouplant des jouvenceaux où Pasolini plonge sa caméra entre le rêve d’une caravane, la gaîté du plaisir charnel pris à sa plus simple découverte qu’expriment, à chaque fois qu’il apparaît dans la fraîcheur de sa nudité, des rires débridés et enfin libérés. « Sumurun » en extase et clin d’œil de ladite en passant par Pasolini à Ernst Lubitsch probablement…
Avec la lune galopante dans le ciel, d’une nuit à l’autre, Pasolini joue avec le cinéma car à la position de l’astre sévèrement modifiée ou rallongée par la nuit étendue d‘un jour à l‘autre, il aurait pu - et dû, tout au moins pour le savant astéroïde - se passer un bon mois ! Mais Pasolini s’en fout,. Si cela fait bien dans le tableau dépeint tantôt avec douceur, toujours sans excès ni le moindre effleurement des vices qui dénaturent essentiellement le pouvoir des dominations. Cette sincérité extrême, dans ce que pourrait constituer la caresse du rêve d’amour réalisé, bafoué, parfois résolu dans la torture allant même jusqu’à donner l’impression de provoquer la caméra dans son indiscrétion, comble de bonheur et de ravissement…
Magicien hors du temps Pasolini agence ses scénettes avec magnificence, teinte comme il veut les jeux de l’amour roi ou déconfit selon le situations qu’il aborde. Fresque tirant parfois jusqu’à la satyre - peut-être comme antithèse au lyrisme habituel de Pasolini -, ici au moins l’amour n’apparaît pas comme un tyran mais comme l’ombre des âmes qui règlent leurs contes aux joies des pulsions.
Enfin, Pasolini atteint la mesure d’un Vinci lorsqu’il cadre en un alignement pyramidal quatre jeunes garçons. Netteté de l’image, perfection du grain, tout est posé méthodiquement comme si chaque image seconde devait porter en elle un nombre d’or qui n’a rien du hasard…
Au bout du compte, ce qui pouvait sembler être une fantaisie fantasmagorique expurgée des rêves d’un fou concerne finalement chacune de nos relations amoureuses. Du liant à la rupture, des séparations violentes ajournées par la quête dynamique de nouvelles conquêtes, de sa comptine Pasolini nous confronte au réel sans le redouter…