S’il est aujourd’hui largement oublié, Fred Zinnemann n’en demeure pas moins l’un des plus grands réalisateurs hollywoodiens de l’Après-Guerre. Avec deux statuettes et cinq nominations, il figure derrière John Ford, William Wyler et Frank Capra parmi les réalisateurs les plus récompensés par l’Académie des Oscars. Sa carrière relativement éclectique compte au moins quatre chefs d’œuvre unanimement reconnus avec « Acte de violence » (1949), « Le train sifflera trois fois » (1952), « Tant qu’il y aura des hommes » (1953) et « Un homme pour l’éternité » (1966). « Au risque de se perdre » qu’il réalise en 1959 pourrait sans doute rejoindre cette liste. L’idée du film, tirée d’un roman de Kathryn Hulme paru en 1956, a été soufflée à Fred Zinnemann par Gary Cooper que le réalisateur connaît bien pour en avoir fait son héros mutique du mythique « Train sifflera trois fois ». Le projet a du mal à se monter avant qu’Audrey Hepburn ne se déclare intéressée par le rôle de Gabrielle van der Mal devenue sœur Luc. Si Gérard Philipe et Yves Montand sont un temps envisagés pour tenir le rôle du docteur missionnaire exerçant au Congo belge, c’est finalement l’anglais Peter Finch qui portera le stéthoscope autour de son cou. Se déroulant juste à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, le scénario est en réalité très simple quant à son intrigue et assez concis concernant les problématiques qu'il soulève. Le grand mérite de Fred Zinnemann, connu pour la sobriété de sa mise en scène, est de ne pas avoir cherché à y adjoindre des intrigues supplémentaires et notamment l’histoire d’amour entre la nonne et le séduisant médecin qui lui tendait les bras. Mérite d’autant plus grand que le film dure près de deux heures trente et que l’image glamour d’Audrey Hepburn encourageait sans aucun doute le recours à cette digression facile. Ne cédant rien aux règles habituelles du système, le réalisateur scrute à la loupe la lente maturation intellectuelle de cette fille d’un médecin prestigieux incarné par Dean Jagger, brillante infirmière qui s’imagine que son entrée dans les ordres sera immédiatement compatible avec sa vocation de venir au secours des plus démunis via son expertise médicale. Il n’en sera rien. La dévotion absolue au Seigneur est en réalité la première mission terrestre des sœurs. La première partie du film montre parfaitement le dur apprentissage de cette soumission de tous les instants à un amour abstrait dont le commun des mortels peut difficilement comprendre la finalité. Aucune sœur sadique ou perverse ne viendra distraire le spectateur tout entier aspiré par le joli minois de Miss Hepburn devenue sœur Luc qui pensera longtemps que sa volonté farouche lui permettra de dompter son tempérament profondément indépendant. Le médecin intervenant dans la seconde partie se déroulant au Congo belge, interprété avec justesse par Peter Finch
se fait le porte-parole du réalisateur, posant frontalement l’équation impossible à laquelle se confronte obstinément sœur Luc, « au risque de se perdre »
. La guerre avec son lot d’injustices viendra à bout de l’acharnement de la nonne qui se résoudra à redevenir ce qu’au fond elle n’a jamais cessé d’être, elle-même. Mystère insondable de la foi et de son accomplissement. La fin ouverte confirme la volonté de Fred Zinnemann de ne rien imposer ou même suggérer au spectateur, préférant n’être que le modeste porteur d’une interrogation. Simple et sans afféterie, « Au risque de se perdre » est un grand film d’un grand réalisateur. Quant à Audrey Hepburn obstinée et pensive, elle est comme toujours absolument convaincante.