Kechiche, chapitre 2. Ça aurait pu s'intituler "la confirmation?". Kechiche va-t-il confirmer ou infirmer son talent après un premier film exceptionnel? Il arrive souvent qu'un jeune réalisateur de talent ayant fait un premier film remarquable se foire totalement par la suite, ce qui est plutôt décevant. Alors, L'esquive, un gros raté? Que du contraire! C'est toujours aussi génial. Faire deux films miraculeux coup sur coup... Je lui tire mon chapeau. Une histoire d'amour très simple et incroyablement juste, évitant absolument tout cliché facile, juste "un mec aime une fille, et il n'ose pas lui dire". C'est aussi simple que ça, et qu'est-ce que c'est beau, voir ce Krimo craquer sur Sara Forestier (on le comprend) alors qu'ils répètent une scène de Marivaux, c'est à la fois touchant, excitant, drôle et vrai. Il n'y a pas réellement d'intrigue, juste des gens qui se parlent, se rencontrent, s'aiment, se détestent; des gens qui vivent quoi. On a toujours cette réalisation, je sens que certains vont me dire "c'est filmé avec les pieds". Ba non, désolé, c'est un modèle. Qu'est-ce qu'on en a à foutre qu'il n'y ait "que des gros plans", moi je ne vois pas un mec qui fait mumuse avec sa caméra au hasard comme certains semblent le dire, je vois un réalisateur qui a l'intelligence de s'intéresser à ses personnages, qui va les voir, on dirait que la caméra veut converser avec eux. On aura beau dire ce qu'on veut sur Kechiche, lorsqu'il dit qu'il est aimant avec ses acteurs, ses personnages, je le crois. Ce film est le contraire de la complaisance, du mec qui viendrait nous dire que ces gens sont des imbéciles sans culture qui parlent mal. Mais jamais il ne tombe là-dedans, on est pas là pour juger ses gens, juste pour vivre avec eux. Ils ne sont pas dénués de défauts, ce sont des ados, parfois très cons, s'engueulant pour des conneries, mais c'est comme ça que ces gens sont en vrai, et malgré tout on les aime quand même et on en peut s'empêcher de rire avec eux. Ce genre de films font du bien parce qu'ils me rappellent ma vie, ces moments et discussions que je peux et que nous pouvons tous avoir au quotidien avec des gens qu'on apprécie. Un tel niveau de transcendance c'est du génie, Kechiche est vraiment un très grand directeur d'acteur, peut-être sans égal dans le cinéma contemporain. Ce que je peux aimer ce film, qui parle des ados de la banlieue sans clichés, sans qu'il y ait un moment où on se dise "ah, là il y a un truc qui ne va pas, une vraie personne ne dirait pas ça". Je pense qu'on pourrait penser le film comme un documentaire tant il se rapproche du réel. Mais à l'instar d'un Pialat qui montre le réel sans le recréer artificiellement, l'intérêt ne réside pas tant dans une imitation sans autre but que de faire le plus réaliste possible, histoire de dire "vous avez vu comment mon film paraît documentaire?" non, ici le dispositif est là pour nous inviter à rencontrer ces personnes, à les aimer, parfois les détester quand ils sont violents, simplement de nous faire passer un moment délicieux en compagnie de er ce film c'est comme passer la journée avec ses potes ou passer une semaine au lycée : on le fait tout le temps, c'est parfois chiant, triste, mais on ne voudrait faire rien d'autre. On pourra éventuellement concéder que la scène avec les flics puisse ne pas être aimé de certains, bien que ce n'est pas mon cas, je trouve qu'elle ne jure pas avec le reste du film. En outre, si L'esquive est un grand film, Abdellatif Kechiche qu'il est immense. En seulement deux films. Chapeau l'artiste.