Jean-Jacques Annaud signe là son deuxième film animalier, 16 ans après "L’ours". Le scénario est un peu plus travaillé, mais reste dans une certaine simplicité. En outre, on note une présence accrue de scènes dures, révélant à quel point l’être humain peut être sadique. On va même jusqu'à se demander quand la cruauté va trouver sa limite
(très éloignée pour la scène de la soi-disante battue organisée en grandes pompes)
. J’avoue avoir eu un peu de mal à rester tranquille devant certaines scènes, et pourtant le cadre est magnifique. En effet, l’action se situe cette fois dans la forêt d’Angkor (Cambodge), dans les années 1920, là où les tigres se sont réappropriés les lieux après que les hommes les aient laissés derrière eux, semant sur place les vestiges d’une civilisation déchue. Le zoom est fait sur deux tigrons qui vivent dans ces ruines, laissant de côté l’historique de ces lieux que j’aurai aimé un peu plus développé. La destinée des félins va être étroitement liée avec un aventurier pilleur de temples et accessoirement chasseur de fauves. Dans ce contexte d’Indochine colonisée par les français, nous sommes invités à suivre le parcours atypique de ces deux boules de poils, au prix de longues séquences sans dialogues et dignes de grands reportages animaliers, des séquences habilement alternées avec des points de vue humains. Esthétiquement, il n’y a rien à redire : c’est beau, ça donne envie de voyager, et on voudrait voir dans leur milieu naturel ces splendides bêtes qui ont suscité de la fascination depuis la nuit des temps. Nous ne pouvons qu’être admiratifs devant l’ampleur du travail des dresseurs. Parvenir à donner autant d’expressions à de tels animaux relève du prodige
, le plus impressionnant étant le changement de regard des tigres lorsqu’ils se retrouvent
. Certes, c’est remarquablement filmé. Mais ça ne fait pas tout. Franchement, je trouve la qualité de dressage au moins égale, si ce n’est supérieure, à celle qui a été montrée à l’occasion de "L’ours". Car réussir à humaniser sans trop en faire ce genre d’animaux, ce n’est pas gagné. Au final, le spectateur s’attache totalement à ces animaux malgré lui et avant même de s’en rendre compte !! Aussi, pour parvenir à maîtriser la cohésion du public, il faut un scénario bien écrit. Le fait est qu’on n’a pas forcément besoin de quelque chose de tarabiscoté pour provoquer de l’intérêt, un intérêt encore plus décuplé par (entre autres) l’entrée en scène de Freddie Highmore, impressionnant de justesse dans la peau de ce petit garçon
qui traite son animal comme son égal. Le spectateur savoure également le fait qu’Aidan McRory retourne peu à peu sa veste, bien qu’il faille un épilogue similaire à "L’ours" pour qu’il renonce définitivement à la mission qu’il s’est et qui lui a été confiée
. Et puis Jean-Jacques Annaud prend le soin de répondre à une question, ne tombant pas dans le piège (volontaire ou non) de l’oubli agaçant : la mère des tigrons… vivante ou pas vivante ? Malgré une interprétation en demi-teinte de Guy Pearce, "Deux frères" n’est pas un film mais un conte animalier, mariant des consonances dramatiques et aventurières, et qui fera passer le spectateur par diverses émotions telles que horreur, colère, tristesse, tendresse, compassion, soulagement, et j’en oublie certainement. Rares sont les films qui suscitent autant de sentiments, à condition toutefois d’être un minimum sensible à la cause animalière. Alors venez vous évader dans une aventure peu commune, à l’esthétique particulièrement soignée, et à la photographie léchée. La caméra de Jean-Jacques Annaud fait le reste, dopée il est vrai pas l’énorme qualité du montage.