L'une des cimes de l'histoire du cinéma selon mon goût, Ordet (1955) évoque diverses manières de vivre la foi chrétienne au sein d'une communauté luthérienne danoise. Il y a les puritains rigoristes et ceux qui, à l'image de la famille paysanne au centre du film, pratiquent une religion humaine et incarnée. Il y a ceux qui s'inscrivent dans une logique plutôt institutionnelle et d'autres qui répondent de la mouvance typiquement protestante des «réveils». Mais, par delà tous ces conflits, Dreyer veut surtout nous montrer comment une foi pure et enfantine peut triompher du scepticisme des adultes et, pour ce faire, il s'essaye à rien moins que la mise en scène d'un miracle. Johannes, le dément, va ramener à la vie sa belle soeur Inger, pourtant déclarée cliniquement morte, et cela grâce à la foi pure et inébranlable de la petite fille d'Inger, la seule à croire en Johannes. À lire un tel résumé, on pourrait craindre le pire, voire le «bide» pur et simple. Et c'est là qu'éclate tout le génie de Dreyer. Par l'honnêteté, la rigueur et l'austérité fanatiques de sa démarche, par la sobriété absolue de sa mise en scène (aucun effet spécial, bien évidemment, mais pas non plus de tires-larmes!), par une direction d'acteurs sans faille, le réalisateur parvient à nous convaincre du miracle et arrive à nous faire partager l'émotion profonde des différents protagonistes du drame. Ode à l'amour humain et à la foi religieuse, «Ordet» est un chef-d'oeuvre absolu que tout cinéphile, qu'il partage ou non la foi du réalisateur, se doit un jour de visionner. Ce film, comme «La passion de Jeanne d'Arc», comme «Jour de colère» ou comme «Gertrud», est en effet la démonstration que Dreyer compte au rang des quelques rares: les plus grands! Hommage lui soit rendu!