Aïe, la déception. Commençons objectivement, sans se laisser orienter par mes sentiments. Mais que c'est dur, car j'en ressens plus maintenant (déception et regrets d'être sans doute passé à côté) que pendant le film, là où 21 Grams devait justement tirer sa force de sa charge émotionnelle - quelle douce ironie. Quoi qu'il en soit, Alejandro González Iñárritu poursuit sa quête autour du hasard comme cause du bouleversement de plusieurs vies humaines (auquel il consacre un triptyque complété par Amores Perros et Babel), thème qu'il croise cette fois non pas avec celui de l'amour mais plutôt avec celui de la mort, et de l'impact qu'elle laisse sur la vie de ceux qu'elle n'a pas encore rappelés à elle. Il parsème encore ses visions de constants rappels sur l'incommunicabilité entre les êtres, et met en images un monde d'âmes perdues et esseulées, dont les efforts de rapprochement semblent toutefois beaucoup moins vains. Et pour cause, ce monde se construit cette fois différemment que celui d'Amores Perros. Si on retrouve en effet le désordre narratif qui rend bien l'image d'humains perdus et impuissants, les trois histoires convergentes sont cette fois-ci développées de manière parallèle et non consécutivement, ce qui affaiblit le sentiment de solitude, mais forme un engrenage inexorable fait de divers hasards, qui conduisent vers la rencontre finale. Partant de là, le ton me semble plus posé, moins noir et plus équilibré, ce qui peut dès lors laisser libre court à l'émotion. Et c'est là que je me permet un aparté personnel, celui qui expliquera vraiment ma note. Malgré un trio Penn-Del Toro-Watts irréprochable - touchant, fragile et très en accord - les destins croisés et tragiques des personnages ne m'ont pas bouleversé, pas tellement, pas assez. Je ne suis pas rentré de plain pied dans ces événements en soi déchirants, force est de le reconnaître. Alors certes, je ne suis sans doute pas un grand sensible, mais tant de films m'ont ému plus et mieux que ça que je ne peux pas simplement passer outre et me dire que le problème vient uniquement de moi. Je pointe donc du doigt une mise en scène dont la sophistication ne m'a cette fois pas surpris ou bluffé. Au contraire, je vois cette fois davantage de l'esbroufe et de l'indécision qu'un désir que matérialiser les soubresauts nerveux des personnages dans cette mise en scène trop décousue, incapable de rester en place, comme si les choix n'étaient pas assumés jusqu'au bout. Pas idéal pour saisir l'émotion. Et puis Iñárritu, mis à part de jolies scènes où des rais de lumières saturés inondent l'intérieur des pièces de vie de 21 Grams, comme pour mieux mettre à nu les personnages et braquer sur eux un projecteur, se borne à une pellicule terne et sans intérêt majeur. Les couleurs sont trop fades, indignes de peindre la pluralité de l'Homme et la violence des sentiments qui peuvent le diriger, surtout pour un film traitant de mort, de douleur, d'amour, de culpabilité ou de déchirement. Bref, au moments de tirer des enseignements de ce second film, les regrets pèsent bien plus lourds que vingt-et-un grammes - poids d'une âme, nous dit Iñárritu, âme que j'aurais souhaité qu'il insuffle davantage à son film, lui répondrai-je. Humain, vrai et beau. Mais malheureusement, pas assez. Ou plutôt, disons que si les émotions affleurent, je n'ai fais que les effleurer. 21 Grams n'a pas su me tirer vers elles et me les injecter, et j'ai du coup vécu ses 120 minutes comme un voyage sur une île paradisiaque les yeux bandés par un voile à-demi opaque. Frustrant.