Etant un admirateur de Mylène Farmer depuis une vingtaine d'années, je ne serais peut-être pas objectif. Sorti en novembre 94, ce projet de long-métrage ambitieux était très attendu. Mylène désirait fortement tourner un film. D'ailleurs, elle avait suivie une formation initiale de comédienne (passage au cours Florent, Mesguish...), et voulait le devenir. Finalement, c'est la chanson qui l'a choisie. Laurent Boutonnat, réalisateur de ses clips spectaculaires et parfois longs, véritables courts-métrages aux mises en scène très travaillées, avait vraisemblablement aussi un désir ardent de tourner pour le cinéma. Ils vont consacrer deux ans sur ce long film de trois heures, investissant un budget de 80 millions de francs à l'époque (environ 12 millions d'euro), et il n'en rapportera qu'un million. Le tandem, qui jusque-la avait connu un très grand succès, va connaître un très dur échec. C'est un bide, les critiques le descendent avec un malin plaisir et les spectateurs le boudent pour la plupart. Le film ne sera diffusé par la suite qu'une fois sur canal plus, et sortira en vidéo en 2008. Cet échec contraindra Mylène Farmer à s'exiler en Amérique pendant un an, et à se rennouveller stylistiquement. Elle retrouvera le succès avec son quatrième album studio, "Anamorphosée", sorti à l'automne 95. Elle réussira aussi son retour sur scène en 96 (après sept ans d'absence), poursuivra une très belle carrière de chanteuse, et à ce jour elle n'a pas rennouvellé une expérience d'actrice, ayant été blessée par le flop de GIORGINO.
Avec le recul des années qui ont passé, quel regard porté sur cette oeuvre? Echec artistique, échec commercial mérité? Ou bien chef-d'oeuvre incompris?
A l'époque, les mêmes critiques revenaient: trop glauque et sombre, trop long, une histoire qui tient sur un ticket de métro, un long clip mais pas un film. On lui reconnaissait une belle musique (ce qui n'était pas vraiment un compliment), une beauté esthétique, mais on trouvait qu'il manquait de contenu, que l'ensemble n'était pas clair et maîtrisé. Même les interprétations de Mylène Farmer et de Jeff Dahlgreen n'avaient pas convaincu grand monde.
Mais GIORGINO est un film qui sort des sentiers battus. Peut-être est-il sorti à un moment où les gens n'avaient pas envie de voir un film aussi noir et dérangeant. Un grand public consommateur de films qui racontent des histoires et qui ne comprend pas forcément la subtilité d'un film à la David Lynch, l'a rejeté. Et de l'autre côté, une presse et un public élitistes l'ont rejeté aussi. Car il y a aussi une raison assez claire: En France, il est très difficile de réussir à la fois dans la musique et le cinéma, on ne mélange pas les domaines, à quelques exceptions près. Les gens de cinéma ont sans doute mal perçu la présence de Mylène et Laurent dans leurs rangs. La gloire qu'ils connaissaient dans la chanson pouvaient aussi susciter des jalousies.
Ces derniers avaient porté avec GIORGINO le point culminant de leur univers noir, gothique, et romantique. L'amour impossible, la folie et la mort s'entremêlent dans des décors enneigés magnifiques; avec pour fond historique la guerre de 14-18, la solitude dans les campagnes, la maladie et les asiles d'aliénés. Dérangeant et au climat par moments malsain, GIORGINO marquait aussi le point de non-retour du parti-pris stylistique du duo Farmer-Boutonnat: Ils ne pourraient plus à l'avenir aller aussi loin dans la morbidité. Un accouchement dans la douleur, un aboutissement et une rupture à la fois.
Personnellement, j'ai aimé le rôle de femme-enfant autiste de Mylène Farmer. Une part de mystère et de surnaturel (les enfants disparus, les loups...) en font aussi un film fantastique que j'apprécie. Et bien qu'il soit long, le film n'est pas du tout ennuyeux, à aucun moment j'ai décroché.