Au premier regard," I, Robot " laissait craindre un blockbuster morne avec un Will Smith à peine revenu de l’affligeante ânerie de son " Bad Boys 2 ". Mais c’était sans compter sur Alex Proyas, cinéaste émérite dont il est bon de ne pas oublier " The Crow " et " Dark City ", deux films en tous points remarquables, et son inspiration dévastatrice. Alors qu’on pouvait légitimement s’inquiéter que le cinéaste ne se fasse dévorer par l’uniformisation de la machine hollywoodienne, Proyas a choisi une option honorable qui consiste à mettre son talent formel au service d’un scénario plutôt conventionnel (inspiré des nouvelles d’Asimov) qui exploite un paradoxe et une thématique éculés : une intelligence artificielle prend le pouvoir alors qu’elle a été créée par les humains.
Heureusement, comme souvent, ce n’est pas dans le script que réside l’attrait majeur de ce spectacle mais dans sa forme. Qu’il filme la destruction massive d’une maison, une bagnole prise au milieu de deux camions ou un combat final tétanisant, la maestria du réalisateur reste la même : sa caméra bouge, virevolte, tournoie, épouse l’action et effectue des mouvements virtuoses. Faute d’équilibre et de novation, le résultat fonctionne fatalement à double tranchant : la force de la mise en scène, le score de Marco Beltrami et la coolitude innée de Will Smith transcendent les faiblesses d’un récit par trop lâche, aussi bien émaillé de belles idées (le gimmick du clin d’œil) qu’entaché de correspondances explicites avec de récents films de SF (" Minority Report " et " A. I. ", en tête). Les touches humoristiques, fonctionnant sur la dualité entre la chaleur de Will Smith et la froideur de Bridget Moynahan, ne sont pas toutes efficaces.
Cette fiction hybride est certes imparfaite mais, singulièrement, c’est de cette imperfection que naît la satisfaction : aussitôt ce postulat accepté (plus de visuel, moins de fond), le film, s’il ne surprend pas et n’invente rien, se regarde avec un plaisir non dissimulé. On sort de la salle assez satisfait (la catastrophe est évitée), avec cependant l’ambition secrète que le prochain film de Proyas soit plus personnel.