« Il est veule, lâche et complètement amoral mais je veux faire ma vie avec lui. »
Un an avant Une Souris Chez les Hommes/Un Drôle de Caïd, Jacques Poitrenaud sortait Du Grabuge Chez les Veuves, avec, déjà, Dany Carrel. L’actrice, qui offre enfin toute la palette de son jeu parfait dans un premier rôle qui ne soit pas celui d’une ingénue ni d’une prostituée, est ici entourée de la star de théâtre et de cinéma Danielle Darrieux, en femme forte qui craque, de Jean Rochefort encore méconnu à l’époque, exceptionnel d’austérité et d’élégance, et de Jean Carmet dans un tout petit rôle, ainsi que de Pascale de Boysson, en belle-sœur lunaire, surtout connue pour sa carrière théâtrale, Georges Chamarat, en pharmacien façon Captain Obvious, acteur et comédien éclectique et prolifique, Enzo Doria, en séducteur convaincant, acteur rare en France (j’ignore s’il est doublé mais, si c’est le cas, le doublage est admirable) et Jacques Castelot, en mari cocu et blasé, acteur oublié mais comédien reconnu (Sartre et Anouilh) et frère d’André Castelot, l’historien.
Pour ce film, Poitrenaud s’adjoint les services de Denys de la Patellière au scénario (une adaptation d’un roman de Jean-Pierre Ferrière), qui sera plus connu pour ses propres réalisations, et d’Albert Simonin aux dialogues, comme ce sera le cas sur son film suivant. La musique de Georges Delerue est parfaite puisqu’on ne la remarque pas.
De prime abord, ce film déconcerte par la litanie presque ininterrompue de lieux communs déversée par les personnes présentes aux funérailles, balayés cyniquement par Manet/Georges Chamarat et Isabelle/Dany Carrel. Le propos du film, lui, va bien plus loin même s’il met du temps à se déclarer. Ce temps n’est du reste pas lent, le réalisateur maniant sa caméra avec plus de fluidité qu’il ne le fera dans son film suivant. En outre, on ne peut pas s’ennuyer quand on suit Dany Carrel et qu’on l’entend. Lorsque l’histoire est enfin démarrée, après quelques flash-backs explicatifs importants, on assiste à un fabuleux jeu de dupes, certes un peu naïf, mais enlevé et, surtout, filmé avec virtuosité. Ajoutons enfin que c’est aussi une comédie avec des gags mais tellement fins, tellement bien amenés et joués avec un tel naturel qu’ils font sourire, d’abord, rire ensuite, quand on y revient, comme la scène du douanier, anodine pourtant, mais tellement révélatrice et résolument contemporaine. C’est aussi une diatribe contre la toute-puissance masculine qui fait des femmes des jouets de leurs manipulations.
Au final, il faut retenir l’interprétation absolument parfaite, la réalisation plus que correcte et un scénario qui déstabilise, porté par des dialogues à la fois pointus et réalistes. Ce Grabuge chez les Veuves est un petit chef d’oeuvre oublié, un film féministe avant l’heure.