De son vivant Aristote Onassis ne voyait qu'Anthony Quinn pour l'incarner dans le cas où sa vie se verrait adaptée à l'écran. Le film est nourri par les anecdotes du co-scénariste grec intime de l'armateur, autant que du roman de Pierre Rey, Le Grec, best sellers de 1972, ignoré au générique. Les noms des personnages sont changés, peut-être pour des raisons budgétaires ; raconter leur véritable histoire supposait de les replacer dans une époque que ce genre de production ne permettait pas, l'assassinat de Kennedy (réduit à quatre personnages sur une plage déserte en solution de remplacement d'une séquence plus onéreuse) est d'ailleurs assez habile. Le film a été monté de toute pièce pour qu'Anthony Quinn en soit la vedette, et quel metteur en scène de l'époque, sinon un parfait yes men, pouvait s'atteler à un sujet tout droit sorti des tabloïds ? Seul J. Lee Thompson, en perpétuelle quête de contrats, avait des chances d'obtenir la mise en scène, et d'enchainer, comme il l'a presque toujours fait depuis son arrivée aux Etats-Unis, avec un deuxième film au service d'une même vedette. Dès la première scène on est très inquiet, lorsqu'on voit Anthony Quinn débarquer en hélicoptère dans une fête privée et balancer des répliques insipides dignes d'un soap opéra. 1978 voyait arriver sur le petit écran des séries comme Dallas dont L'empire du Grec est l'opportuniste reflet cinématographique par son côté saga familiale où ne manquent ni les rivalités de fortunes, ni les morts tragiques, ni les conflits amoureux, encore moins les décors de rêves. Toutefois, la mièvrerie s'efface assez vite pour laisser place au véritable sujet du film, à savoir le portrait d'un arriviste sans scrupule qu'un énorme complexe d'infériorité finira par détruire. L'implication d'Anthony Quinn, totale, oblige Jacqueline Bisset à mouiller sa chemise dans un rôle en carton-pâte. La scène où Tomasis l'humilie devant tout le monde puis cherche à s'excuser donne aux deux comédiens une fenêtre de tir qui place le film au-dessus de ce qu'on pouvait en attendre. Anthony Quinn, énorme mais toujours impeccablement juste, dans un personnage rugueux, dangereux, généreux, invincible et fragile, tient son meilleur rôle depuis Zorba le grec. Avec toutefois les dommages collatéraux qu'on pouvait craindre de la part d'un acteur qui aime tirer à lui draps et couvertures. Les personnages secondaires manquent d'espace pour s'épanouir mais ils sont suffisamment bien « castés » pour avoir une réelle existence. Le président des Etats-Unis, séduisant mais trop faiblement charpenté pour résister à la voracité de l'armateur qui convoitait déjà sa femme alors qu'il n'était que candidat. La roublardise déployée par Tomasis pour le séduire à des fins personnelles nourrit des scènes bien interprétées et joliment mises en scènes. Puis, par le simple enchainement des séquences, on laisse entendre que Tomasis n'est pas étranger à l'assassinat du président, dans sa logique de prédateur prêt à tout pour obtenir ce qu'il veut, incapable d'admettre qu'il y ait au monde plus important que lui, inspirant à son fils qu'il étouffe des regards horrifiés quand il se rend compte que son père ne lui laissera jamais prendre la moindre initiative. L'éducation virile, et finalement délétère qu'il donne à son fils, rappelle celle que Yul Brynner donnait à Tony Custis dans Tarass Boulba. La femme de l'armateur, à qui il accorde le droit d'exister en tant qu'objet, croyant que le luxe suffit à son existence d'épouse. Le frère, puissamment incarné par Raf Vallone, frustré d'avoir vécu dans l'ombre de son aîné, contre qui il se bagarre comme si les deux frères n'avaient jamais grandi, puis sa maitresse, transposition bien sûr de Maria Callas, dont on ne sait pas, dans le film, ce qui justifie exactement son vedettariat, physiquement l'opposé de son modèle, cantatrice disgracieuse et austère incarnée par une actrice sexy et complètement délurée, objet de plaisir dont le grec se débarrasse sur un coup de fil. Dommage qu'elle disparaisse complètement de l'histoire. Tout un tas de petits personnages purement décoratifs, comme Winston Churchill en discussion avec le président sur le yacht, dont on aimerait approfondir les échanges, lesquels sont brutalement interrompus par le grec, incapable de s'inclure dans une conversation sérieuse, n'ayant que sa grande gueule pour faire oublier son inculture. Le grec, dont l'origine de la fortune est aussi nébuleuse que l'était celle de son modèle, est présenté comme un vil mafieux, qui dit à son fils avoir toujours un révolver chargé lorsqu'il s'agit de traiter d'affaires sérieuses, ne connait des rapports humains que les rapports de force et achète son épouse selon les termes d'un contrat qu'on signe pour obtenir un bien. Cet univers on ne peut plus louche réservé à une élite aux prétentions mondialistes baigne dans une atmosphère d'insouciance et de fête qui témoigne d'une époque où on arrange ses affaires entre deux cocktails autour d'une piste de danse disco avant la naissance du monde froid des affairistes des années 80.
Grâce à une Photo luxueuse de Ted Richmond et une musique inspirée, romantique sans être sirupeuse de Stanley Myers, ce film de prestige mérite mieux que sa mauvaise réputation. Les décors spectaculaires et luxueux lui donnent toute sa substance, celle d'un monde totalement factice que le Grec a voulu posséder, faute de pouvoir remplir le vide de son existence, l'éternel Rosebud du soleil couchant quand il danse sur le vieux port parmi les gens authentiques de son pays. Parfaitement digeste, intéressant de bout en bout, L'Empire du grec est ce que J. Lee Thompson aura fait de mieux depuis Eye of the devil.