Réalisé en 2003, "Sympathy for Mister Vengeance" représente parfaitement toute la vitalité de cette nouvelle vague coréenne. Depuis le début des années 2000, un groupe de jeunes réalisateurs émerge, parallèlement au développement économique de la Corée du Sud. Parmi ces réalisateurs, on retient surtout Bong Joon-ho et Park Chan-wook. Ce dernier avait connu un énorme succès en Corée du Sud avec son "Joint Security Area", en 2000. "Sympathy for Mister Vengeance" est aussi le premier opus de ce qu'on appelle la trilogie de la vengeance. Il sera suivi du mythique "Old Boy" en 2004 (complexe et passionnant) et de "Lady Vengeance" en 2005 (brouillon et douteux).
Aujourd'hui, on sait que Park Chan-wook est, globalement, un bon réalisateur. Son style, hystérique et violent est reconnaissable entre mille. Mais ici, c'est plutôt le remarquable scénario, signé par quatre scénaristes (pas moins) dont Park Chan-wook qui mérite d'être salué. Donc, de quoi s'agit-il? Ryu, un jeune sourd muet aux cheveux verts a une soeur gravement malade et n'a pas assez d'argent pour payer la coûteuse greffe de rein, susceptible de sauver sa soeur. Aidé de sa fiancée, il décide de kidnapper la fille d'un riche industriel, Park Dong-jin , pour exiger une rançon. Malheureusement, la fille meurt accidentellement noyée, en ayant échappée à la vigilance de Ryu. Park, après la découverte du corps de son enfant, poursuivra le jeune sourd et muet pour le tuer...
C'est vraiment un grand sujet qu'a trouvé le réalisateur. Ce qui frappe dans ce film, c'est la structure du récit, qui n'est pas banale. Deux parties: celle où l'on suit Ryu, en quête de rein (il ira jusqu'à se faire retirer un rein par des clandestins) puis, et c'est une véritable curiosité, celle où l'on suit plutôt Park, assoiffé de vengeance. Il y a manifestement une volonté de refuser à ses personnages le statut de "principal" ou de héros. Les hommes ici, sont prétexte à mettre en valeur le vrai héros du film: la vengeance. Tout est dans le très exemplaire titre du film: "Sympathy for Mister Vengance" ou comment les hommes sont absorbés par la vengeance. On a souvent vu ce thème traité au cinéma, mais alors que la revanche est superficielle, ici, cette dernière (qui ne s'apparente pas seulement à Park, mais aussi à Ryu, qui voudra se venger des voleurs d'organes et de Park, qui assassinera sa petite amie) se présente comme une sorte de mécanisme. Terrifiant. Comme si la représaille par le meurtre est la moindre des choses.Dans ce film, il faut se venger non pour se soulager mais bien pour se venger. Comme si la vengeance, en plus de faire partie de la vie quotidienne des personnages, est une force supérieure qui doit s'appliquer. Ainsi, Park Dong-jin après être tombé dans un désarroi profond, sera peu à peu transformé en vengeur impitoyable, davantage occupé à traquer Ryu qu'à honorer la mémoire de sa défunte fille.
Deux scènes d'autopsie: la première où Dong-jin contemple le corps de sa fille avec tristesse et dégoût. En ce sens Dong-jin est encore humain. Et la deuxième, où est disséqué le corps de la soeur de Ryu (qui s'est suicidée, horrifiée par ce qu'à fait son frère) devant un Dong-jin baillant et regardant sans aucune expression le corps de la morte
. La vengeance s'abat sur toutes les personnes et les pousse à commettre l'irreparable. C'est la grande différence entre réagir à la mort d'un proche par les larmes (et être humain) ou par la haine (le processus de déshumanisation commence et tuer est plus important qu'épier et se souvenir). Le film dresse un terrible constat : la haine se révèle plus forte que le pardon.
"Je sais que t'es un homme honnête. Donc tu comprends pourquoi je dois te tuer" dit Park à Ryu, au moment où ce dernier est à sa merci. A ce moment-là, les deux hommes sont au bord des larmes. Ryu a sans doute peur de la mort, et regrette (peut-être) de ne pas avoir vengé sa petite amie. Park est de nouveau humain car terrifié par ce qu'il va faire, il ne veut pas le faire. Mais pourquoi continuer ? Park, ici, n'est triste que parce qu'il va tuer Ryu, il semble même prendre en pitié le jeune homme aux cheveux verts. C'est parce que la vengeance doit s'appliquer que Park Dong-jin veut en finir avec le sourd-muet.
Tuer pour honorer Mr. Vengeance, non pour se soulager de la mort de sa fille. Discours quelque peu extrémiste ? Peut-être, mais Park Chan-wook déshumanise ses protagonistes . Et c'est la monumentale différence avec ''Lady Vengeance ''. Là où ''SfMV'' montrait des hommes détruits dont le destin (si majeur dans les tragédies grecques et latines) semblait avoir une plus grande importance que leur libre-arbitre, ''Lady Vengeance'' montrera, elle, une revanche insoutenable, mais où les bourreaux sont conscients de leurs actes, ont le choix et, pire que tout, prennent le temps de la réflexion. Entre violence aveugle du premier film et violence calculée et réfléchie du deuxième film, laquelle des deux est la pire ? Au spectateur de choisir, mais au moins, Mister V. s'intéresse à la fois aux victimes et aux bourreaux contrairement à Lady V. qui se focalise uniquement sur les vengeurs.
Enfin, il y a une question qu'on est en droit de ce poser : ce film n'est-il pas une apologie de la revanche ? Pour ma part, je suis contre cette idée. Tout comme le cycle des ''Atrides'', le film nous montre un aspect extrêmement pervers de la vengeance : l'effet domino ; Une vengeance en entraîne une autre (a et d tueront b, c voudra venger b en tuant d, mais a voudra tuer c pour venger d...) sans que cela trouve de fin. Sans que cela trouve de fin ? Faux.
Tout cela débouche sur la scène finale : tout le monde est vaincu. Il n'y a donc pas d'intérêt à se venger, puisque, tôt ou tard, on sera vaincu et déchu.
Superbe spirale infernale, acteurs excellents (ma préférence va quand même au très émouvant Song Kang-ho, dans le rôle de Pack, sans doute le meilleur acteur de la nouvelle vague coréenne, et qui le confirmera un an plus tard dans le génial ''Memories of murder'' de Bong Joon-ho), très bon scénario, mis-en scène tantôt brillante (certaines scènes sont étrangement belles comme celle où Park Dong-jin est installé dans la chambre de sa fille) tantôt exaspérante : pourquoi tant de gore et d'outrances et pourquoi refuser une certaine forme de classicisme ? Voici donc un film marquant, touchant par moment et une réflexion impitoyable sur la vengeance.