Nouvelle adaptation du roman de Leroux et, accessoirement, remake d’un des plus grands classique du cinéma d’horreur muet (avec Lon Chaney), "Le Fantôme de l’Opéra" dénote dans la galerie des monstres classiques Universal pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il s’agit du seul membre du bestiaire à bénéficier de la couleur. On perd, certes, un peu de l’aura des productions élégantes en noir et blanc mais il faut admettre que la Technicolor est utilisée à bon escient avec des couleurs particulièrement mises en valeur et participant pleinement au faste du spectacle. La reconstitution de l’Opéra Garnier est d’ailleurs une formidabe réussite (le décor ayant été réutilisé depuis par bon nombre d’autres productions). Autre particularité : il s’agit du premier remake horrifique d’Universal ce qui rend inévitable la comparaison avec la prestation de l’illustre Lon Chaney. Et, bien que ce premier film soit muet, la présence du Fantôme y était bien plus terrifiante, à commencer par la scène culte de la découverte du visage du monstre. Là où Lon Chaney avait fait le choix d’une déformation complète du visage (yeux disproportionnées, dents apparentes, rides marquées…), Claude Rains se contente d’une simple brulure à l’acide. L’acteur se montre, certes, irréprochable dans son interprétation (ses fêlures, sa passion inexpliquée pour l’héroïne, sa voix…) mais son Fantôme ne dispose que d’une aura très limité puisque ses méfaits consistent, dans un premier temps, à un simple vol de nourriture et de costume (peu effrayant d’ailleurs), ce qui m’a semblé insuffisant pour susciter la terreur. On peut même considérer que Erique Claudin (le véritable nom du Fantôme), virtuose atteint d’un mal qui va le priver de sa musique et qui semble consacrer sa vie à la réussite de la jeune chanteuse Christine, est bien plus intéressant et complexe que son alter ego masqué, qui manque de consistance. Mais le problème principal reste, bien évidemment, la mise en scène et les choix du réalisateur Arthur Lubin qui a visiblement entendu privilégier l’opéra et la comédie à l’horreur. On a ainsi droit à une surabondance de séquences chantées (que ce soit sur scène ou dans les coulisses) qui paraissent interminables… surtout si on n’aime pas l’opéra. Seul le concerto du Fantôme m’a convaincu. A ce titre, Susanna Foster, qui campe l’héroïne au centre de toutes les attentions du Fantôme, passe son temps à pousser la chansonnette (avec un certain talent) mais ne parvient pas à se débarrasser de l’étiquette de potiche de son personnage. Mais, plus grave, les scènes censées être comiques sont directement inspirées de la comedia dell’arte… ce qui donnent des altercations un peu grand guignolesques et répétitives entre les deux prétendants de l’héroïne (Nelson Eddy en chanteur lyrique et Edgar Barrier en policier). Ce ton comique attente à la dramaturgie de l’intrigue, qui n’est jamais vraiment effrayante sauf lors des scènes (trop peu nombreuses) où le Fantôme arpente les égouts parisiens ou lors des très rares meurtres à mettre à son actif. J’aurai aimé que le film compte bien plus de scènes horrifiques et, surtout, qu’il ménage davantage le mystère autour du Fantôme. A ce titre, il est dommage d’avoir gommé du scénario le lien familial qui unit ce pauvre Claudin à Christine mais il est surtout scandaleux de ne pas avoir davantage travaillé le montage du film sur ce point, puisqu’il subsiste quelques scènes (la réminiscence de la chanson provençale notamment) ne laissant pas place au doute et qui se voit flinguées par le final. La conservation de ce lien aurait permis de renforcer le drame du personnage. Pour autant, "Le Fantôme de l’Opéra" ne manque pas de charme et, malgré ses nombreuses imperfections, garde une place à part dans l’imaginaire collectif.