Oui, le chef-d'oeuvre de David Lean, retraçant l'épopée de l'officier T.E. Lawrence, d'abord simple envoyé en mission pour l'armée britannique (première guerre mondiale), jusqu'à un rôle absolument prépondérant dans le soulèvement des Arabes contre les Turcs. Bon passons évidemment sur ce qui a fait du film un chef-d'oeuvre, à savoir le travail de ouf que nécessite une telle aventure et tout le gigantisme qui l'accompagne : milliers de figurants, milliers de chevaux, le désert (bien que d'Espagne), la durée du film (3 heures et demi) et donc de montage, le boulot sur les plans, tout ça est absolument vertigineux...
Mais l'essentiel de la grandeur du film vient de la personnalité de Lawrence qu'elle arrive à créer et à construire : personnalité absolument mégalomane qui se découvre peu à peu à l'écran, qui prend aussi conscience d'elle-même au fur et à mesure du film. Voilà l'essentiel : Lawrence est un aristocrate, mais évidemment, pas un aristocrate social : un aristocrate nietzschéen, un noble au sens le plus strict du terme, c'est-à-dire un individu porté par des forces qui tendent à s'imposer au monde - goût par conséquent hyper-développé pour l'action, le combat, la lutte, plutôt que pour le commerce ou la gestion de son cottage. Bref, on est loin de la morale du spectateur : Lawrence, qui n'est pourtant pas inculte, ou une brute un peu simplette - il est lettré, connaît les textes... - ne conçoit la vie que dans l'action. Si bien que la double personnalité que le spectateur peut saisir de Lawrence à la vue du film - d'abord, disons pour aller vite, un Lawrence humaniste et philanthropique (c'est le Lawrence du début, qui va chercher un homme tombé de sa monture et condamné à mourir dans le désert, contre l'avis d'Ali (Omar Sharif), et un Lawrence assoiffé de sang et immoral (c'est le Lawrence de la fin, massacrant la colonne de Turcs qui bat en retraite) - cette double personnalité donc, n'est que la conséquence de l'aristocratisme fondamental de Lawrence : pas deux pôles disjoints, isolés l'un de l'autre, mais une seule source qui s'affirme progressivement et de manières différentes. Si Lawrence va sauver l'homme condamné à la mort dans le désert, ce n'est pas par amour du prochain, c'est que cet homme est essentiel pour l'objectif des futures victoires militaires de Lawrence. Même intérêt dans la scène ou ce même homme risque de faire rater la prise d'Akaba : Lawrence le tue pour servir, non pas ses rêves ou ses idéaux de grandeur, mais c'est besoins de grandeur. C'est pulsionnel, vital ou tout ce que l'on veut (c'est d'ailleurs tellement nécessaire pour lui que cela provoque la crise du film, quand Lawrence veut démissionner et quitter l'Arabie, effrayé lui-même, tel qu'il le raconte à ses généraux anglais, par le plaisir pris à tuer cet homme. Ce qui consacre l'aristocratisme de Lawrence, c'est ce plaisir physique, corporel, vital, qui dévoile l'authentique souterrain de forces à l'oeuvre dans toutes ses actions). La fin du film n'est pas en rupture avec le début, comme l'on pourrait dire assez sottement que la guerre a fait de Lawrence gentil un Lawrence déformé, malade, c'est-à-dire un Lawrence méchant : le plaisir dévoile bien plutôt l'aristocratie pulsionnelle de Lawrence, les besoins de domination et de grandeur, auxquels Lawrence laisse libre cours dans la seconde partie : un libre jeu de la violence, dans le sang et la folie. Un p'tit chaos, en somme. Un autre point, comme ça : comment expliquer autrement l'autonomie de Lawrence vis-à-vis de l'armée anglaise, par laquelle pourtant il était initialement dépendant ? Lawrence sent que son destin personnel se joue là, et se fout complètement de l'attachement à sa patrie ou de son armée, se fout d'ailleurs de tout autre ordre rationnelo-normatif : religion etc. Il sent que sa vie ne peut vraiment se vivre que là, dans le désert, avec en arrière-plan de toute l'histoire l'image absolument magique (que le film fait passer d'une manière parfaite, avec Peter O'Toole), d'un Prince arabe blond.
Encore des points positifs : la musique, grandiose, quasi-légendaire (et aussi honteusement pompée par la série Stargate, la porte des étoiles). Et les acteurs principaux, très bien interprétés notamment par Omar Sharif et Anthony Quinn. Mais la palme revient à Peter O'Toole, qui inonde le film d'une grâce incroyable, et je pèse mes mots. Il est tout simplement parfait pour le rôle (comme est parfait, par exemple, Brad Pitt pour Achille), un de ces rôles dont le cinéma peut garder jalousement l'image brûlante (c'est fou comme l'image qui reste de ce film est l'image de Peter O'Toole en habits arabes blancs ou très clairs, yeux bleus fixes, sous le soleil total, et dans le désert total : une sorte de mythe).
Non, je n'ai pas envie de mettre de points négatifs. C'est grand, c'est beau, ça envoie du rêve. 18/20, Sept oscars mérités. Mais Peter ? Peter...
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