à voir en director's cut. Wolfgang Petersen adapte l'Iliade, chef d'oeuvre millénaire d'Homère. Première constatation: il risque de décevoir par bien des aspects les fans de mythologie grecque (dont je fais parti): les dieux sont absents, les personnages sont modifiés (Briséis est un mélange de Chryséis et de Clytemnestre), des divergences par rapport au mythe (la mort d'Ajax, la mort de Ménélas). Tout les éléments sont là pour décevoir ceux qui ont aimé l'Iliade. Certes, j'ai été déçu par tous ces défauts. Pourtant, il y a quelque chose d'Homérique dans ce film. Si il fourmille d'erreurs dans les détails, le film parvient dans l'ensemble à reproduire la même ambiance, le même ton que le poème épique: Troie est à la fois épique et tendu, psychologique et complexe, tragique et haletant, lyrique et passionnant tout comme l'Iliade.
On ressent les mêmes émotions, la même tension qu'en lisant le poème épique d'Homère. On appréciera également cette mosaïque de personnages. Le personnage le plus marquant du film n'est pas Achille: c'est Hector. Si le film, en effet, parvient à transcender l'Iliade sur un point, alors c'est bien sur le personnage d'Hector: un personnage noble, courageux, dévoué à son peuple et à sa famille, attaché à l'honneur et sage dans ses actions: on est pas loin de Maximus pour le charisme et l'humanité du personnage. Toujours du côté des Troyens, Priam est tel qu'on se l'imaginait, c'est à dire charismatique, et le second rôle d'Andromaque est touchant. Le personnage d'Achille est quand à lui plus complexe qu'il n'y paraît. C'est finalement Briséis qui gâche le film: ses scènes intimistes holywoodiennes avec Achille ralentissent le film et limitent l'intérêt du récit. L'idéologie des Grecs anciens est bien respectée: des hommes "hantés par l'immensité de l'éternité", qui se battent pour la gloire, pour l'honneur, pour qu'on se souvienne d'eux. Il faut passer outre le côté blockbuster holywoodien pour apprécier la mentalité guerrière grecque fidèlement retranscite. Le réalisateur prend un point de vue critique: il expose mais condamne cette moralité cruelle notamment grâce au personnage d'Hector. Le film est donc doté d'une morale très émouvante sur la guerre (version director's cut), il montre jusqu'où la noirceur de l'âme humaine peut aller, le film écoeure par sa violence et assagit par son propos. On retrouve dans Troie le même sentiment de fatalité tragique que l'on avait dans l'Iliade à propos du personnage d'Achille. Rien qu'au niveau de l'histoire et des personnages, on a déjà un péplum réussi dont les qualités compensent très largement les défauts. Il faut ajouter à cela l'incroyable réussite technique qui ne fait que transcender le film.
Visuellement, Petersen a sû retranscrire les images que décrivait Homère grâce à une mise en scène magistrale et grandiose, à laquelle il manque malgré tout la patte artistique d'un Jackson ou d'un Scott. Les décors s'ils sont assez peu respectueux de la réalité historique, sont grandioses. Les costumes et armements, magnifiques, sont assez souvent intéressants au niveau historique, puisqu'ils sont tirés aussi bien de la Grèce mycénienne (casque à dents de sanglier, bouclier rectangulaire), que de la Grèce archaïque (casque d'hoplite, bouclier échancré, bouclier en demi-lune), malgré quelques fantaisies holywoodiennes. Quand aux scènes d'action, elles sont époustouflantes: les combats à l'épée, à la lance et au bouclier, filmés et chorégraphiés à la quasi-perfection, très dynamiques, violents, atteignent un niveau de spectaculaire anthologique, que très peu de films (Matrix Reloaded) peuvent se vanter d'avoir approché. On ne compte plus les scènes cultes: la charge d'Achille sur la plage, le duel Hector-Ajax, et bien sûr, le duel Achille-Hector.
Les batailles sont tout aussi extraordinaires: grandioses, magistrales, aux charges et aux nuées de flèches très spectaculaires, elles atteignent elles aussi un niveau anthologique, notamment la "Bataille de Troie", égalant celles du Seigneur des Anneaux.
La musique de James Horner, composée en trois semaines seulement, est excellente, même si le côté bâclé ressort un peu. Les choeurs de voix réussissent à donner au film un aspect grec antique, et elle accompagne le film corps et âmes, amplifiant les émotions. Avec, cependant, une déception dans la version DC: la musique rééditée est souvent moins bonne!
Les répliques sont inégales: on a de belles citations qui donnent un côté poétique au film aussi bien que des dialogues minables qui rapellent qu'il s'agit d'un blockbuster d'Holywood. Le scénariste aurait gagné à citer directement Homère. Il y a donc quelque chose d'Homérique dans ce film: que ce soit dans son ambiance, ses batailles, son souffle épique ou certains de ses personnages, il contient des qualités qu'Homère lui-même n'aurait pas osé renier. On regrettera tout juste les scènes où apparaît Briséis, d'une médiocrité affligeante. La version DC, plus sombre et plus dramatique, est à conseiller.