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    Sibériade
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    Eowyn Cwper
    Eowyn Cwper

    124 abonnés 2 039 critiques Suivre son activité

    3,5
    Publiée le 26 janvier 2021
    "Pas réjouissant, mais tu ne trouveras pas mieux." C'est en ces mots qu'un homme "exilé" depuis longtemps à la ville présente son village à son fils lorsqu'il y retourne. Dans ces marais orientaux infinis habitent des Russes que la radio atteint à peine et que la Révolution ne concerne guère. On est dans la première moitié du siècle dernier et l'existence s'y résumerait presque aux saisons et à la forêt, s'il n'y avait pas la rumeur d'une terre maudite au-delà du marais - La Crinière du Diable -, ou bien l'étoile qu'un homme de la bourgade suit en taillant à lui seul une route à travers la taïga.

    L'entre-deux-guerres amènera toutefois un curieux vent d'ouest. La Russie n'est plus la même, on ose plus souvent la parcourir de part en part et les isbas les plus isolées deviennent le foyer d'une conscience politique croissante. Puis vient la guerre, dont la nouvelle parvient cette fois au village après seulement trois semaines. "N'avait-on pas déjà battu les Allemands ?", se questionne-t-on en y envoyant les jeunes au nom de la Mère Patrie. Mais la dépopulation ne fait que commencer, et les souvenirs d'antan se perdent déjà : seuls le Grand-père de toujours (dont l'âge ne ploie sous aucune des générations qui se succèdent), ainsi que la Crinière du Diable gardent leur mystère.

    Au sortir de la guerre, la Sibérie occidentale deviendra un lieu de crainte et de convoitise mêlées : on y exile les indésirables et l'on y envoie des travailleurs s'ajoutant à une population locale de plus en plus inquiète et négligée. La région qui fait trois fois la France deviendra-t-elle le vide-ordure moscovite ou représentera-t-elle au contraire le nouvel espoir d'une nation qui découvre qu'elle n'est pas seulement grande au figuré ? Ce Far East sera-t-il l'eldorado communiste ou l'endroit de sa déchéance ?

    Les jeunes sont partis à la ville et en reviennent partagés. Devenus les représentants modernes d'une Union au sommet de sa puissance, mais ils sont impuissants à contrecarrer son projet d'exploiter les terres orientales sans une once d'humanité, finissant d'anéantir le rêve de ceux qui pouvaient passer leur vie à construire une route afin de poursuivre une étoile. Certains ont renié la patrie, car pour eux ce mot n'est plus synonyme de la Sibérie natale, mais de l'URSS contemporaine.

    Ces générations d'hommes qui se suivent, souvent aveuglés par leur isolement, leur patriotisme, leurs idéaux ou leurs espoirs, sont les acteurs d'une transformation inattendue : celle d'une terre millénaire à laquelle le monde s'intéresse pour la toute première fois à grande échelle, rendant les petites bourgades sibériennes presqu'aussi informées et politisées que l'espace rural occidental à la même époque.

    Kontchalovskiy s'intéresse aux hommes, mais son film non : ce dernier lui échappe en réalité, de la même manière que les secrets de la Crinière du Diable échappaient aux villageois. Regagnant au travers de cet envol un peu de son indépendance culturelle cryptique, la Sibérie redevient ce qu'elle a toujours été avant la ruée vers l'or noir : pas réjouissante, mais on ne trouvera pas mieux.

    → https://septiemeartetdemi.com/
    Patjob
    Patjob

    35 abonnés 602 critiques Suivre son activité

    4,0
    Publiée le 2 décembre 2019
    Ah ! Il n’y a encore aucune critique sur le site !
    Ne risquant pas les redites, je vais être un peu moins concis que d’habitude.
    Précision préalable : j’ai visionné la version « courte », de trois heures et demie quand même, (deux autres versions plus longues ont été montées), qui a obtenu le Grand prix spécial du jury à Cannes en 1979, face à une forte concurrence.
    La genèse du film est intéressante : il s’agit d’un film de commande du pouvoir Soviétique sur la découverte du pétrole en Sibérie. Konchalovski a en partie rempli le cahier des charges, mais il s’est surtout affranchi de l’esprit de la commande pour en faire un film ambitieux et personnel.
    Quelques mots sur le titre : Le suffixe -ade évoque tout à la fois un caractère collectif, des actions, des constructions, une forme poétique, voire le produit fabriqué à partir d’un ingrédient, ici la Sibérie.
    Il renvoie aussi -et surtout- à un genre littéraire : l’épopée (L’Illiade, la Franciade, …) qui comprend une idée de durée et un mélange de dimensions individuelles et collectives.
    Les épopées sont écrites pour célébrer un grand fait (répondant en cela à la commande Soviétique), ou pour évoquer une suite événements historiques en utilisant une forme poétique.
    Le film correspond à ces trois caractéristiques.
    Au générique apparaît un sous-titre presque redondant, « Poème », qui affirme la priorité du cinéaste, qui vise plus à l’évocation qu’à l’analyse.
    Comme les œuvres du genre revendiqué, le film est long. Il est lent aussi : le cinéaste prend son temps, en laissant des plans durer plus que dans les productions « normales », comme pour imprégner le spectateur de son ambiance, et il faut faire l’effort de pénétrer dedans.
    L’action se passe quasi exclusivement dans le petit village Sibérien d’Elan, perdu dans la taïga, sur les soixante premières années du 20eme siècle. Il conte les histoires de trois générations successives de deux familles, l’une pauvre, l’autre (relativement) riche. Il est rythmé de plusieurs façons : par les départs et les retours au village des protagonistes et par des images d’archives servant d’intervalles en les parties, images en noir et blanc des deux conflits mondiaux, de la révolution bolchevique et de la guerre civile.
    Le film est très riche, abordant plusieurs thèmes, en utilisant plusieurs genres : il y a des scènes dramatiques, oniriques, poétiques et de comédie. Il est aussi empreint de spiritualité, voire de surnaturel et de mysticisme. Peut être est-ce l’utopie dont il parle le mieux, de l’utopie du père qui au début du film construit une route vers l’étoile la plus brillante, à l’utopie suggérée du communisme, de l’utopie de l’homme en général symbolisée par le dernier plan du film.
    L’ambition avouée par Konchalovski était de faire un équivalent Russe au « Novecento » de Bertolucci, la même période historique et les démêlés personnels et familiaux se mêlant à l’identique dans les deux œuvres. Il a presque réussi.
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