C'est l'un des films les plus troublants de Chabrol. Pas le meilleur (rythme un peu lent, mise en scène et esthétique plutôt plan-plan), mais l'orientation du scénario a de quoi surprendre. D'abord, la situation criminelle classique est ici inversée, puisque le meurtrier ne cherche pas à cacher son crime mais à le faire connaître et condamner. Ensuite, Chabrol développe une belle ambiguïté en sondant son terrain social de prédilection, celui de la bourgeoisie française. Il brosse le portrait d'un bourgeois tiraillé entre différentes aspirations, les siennes et celles de son milieu, contradictoires et paradoxales, douloureuses et fatales. Sur un plan personnel, ce Charles Masson fait le grand écart entre l'expression de pulsions destructrices, dans le cadre d'un amour extraconjugal, et un impérieux désir d'ordre moral, que l'on peut penser tout empreint de culture catholique. Un besoin autodestructeur de pénitence et de rédemption. Cette trajectoire tourmentée est placée sous le signe de la souffrance et du plaisir mêlés : des jeux de l'amour SM au dolorisme de la quête du châtiment. Mais au-delà de ce cas de conscience individuel, le vrai noeud du drame se noue à une autre échelle, au niveau collectif. Car l'ordre moral qui hante tant le personnage principal s'oppose à un ordre social. Un ordre bourgeois qui peut tout accepter sous le sceau du secret et de l'hypocrisie, si l'on n'égratigne pas le vernis des apparences et de la respectabilité, si l'on ne déstabilise pas ce qui est confortablement établi...
Tout en pesanteur psychologique, impitoyable dans son dénouement, Juste avant la nuit constitue peut-être la critique la plus implacable du réalisateur contre le monde bourgeois. Le film est porté par l'intensité et la subtilité du jeu de Michel Bouquet. La composition de Stéphane Audran, quant à elle, fait froid dans le dos. Enfin, on note l'apparition non créditée de Michel Duchaussoy qui était, deux ans plus tôt, l'acteur principal de l'excellent Que la bête meure, du même Claude Chabrol.