Il s'agit du troisième King Kong. Peter Jackson a décidé de se référer à l'original de 1933, bien plus qu'à l'insipide remake de John Guillermin de 1976 avec Jessica Lange. On retrouve ainsi des éléments qui avaient disparus dans le premier remake : les dinosaures, les avions sur l'Empire State Building.
Le film est découpé en trois parties très distinctes et d'inégale longueur. La première débute dans un New York marqué par la grande dépression. Ann Darrow est une comédienne qui voit son music-hall fermé du jour au lendemain, et qui se trouve contrainte d'accepter la proposition de jouer dans le film énigmatique de Carl Denham, dont le spectateur découvre très vite le côté escroc. Avec l'auteur dramatique Jack Driscoll, ils embarquent dans un rafiot qu?on croirait sorti du « Crabe aux pinces d?or », avec des loups de mers aux allures de trafiquants.
Un mousse lit d'ailleurs « Le club des ténèbres » de Conrad, dévoilant une référence qui s'impose au moment de l'arrivée sur l'île : on est proche de la remontée du fleuve d' « Apocalypse Now », que Coppola avait tiré de cette nouvelle, transposant l'Afrique de la colonisation aux frontières du Cambodge. On retrouve ici le même sentiment d'abandon de la civilisation et d'entrée progressive dans la folie. Dans un film bénéficiant d'une débauche d'infographie, les premiers affrontements sont étonnement filmés « à l'ancienne », avec des effets de ralentis, des zooms, une bande son space, plus proche de « Bad Taste » que du « Seigneur des Anneaux ».
La seconde partie, la plus longue, se passe dans Skull Island, l'île du Crâne, oubliée des cartes et dont le roi n'est autre que Kong. On est ici dans « Le Monde perdu » de Conan Doyle : tout y est disproportionné, à l'échelle du jurassique, que ce soit les dinosaures, les blattes ou les chauve-souris.
On assiste à une poursuite époustouflante de paisibles brontosaures par des dinosaures carnivores. C'est pour moi le meilleur moment du film, ne serait-ce que parce que le côté potache de Peter Jackson refait surface, avec un empilement final de diplodocus plus proche de « Fantasia » que de « Jurassic Park ».
Malheureusement, après, le film sombre dans la surenchère, et l'ennui s'installe de chutes de T-Rex pris dans des lianes comme dans une vulgaire toile d'araignée en attaques gore de vers carnivores et des blattes géantes (N'emmenez pas des jeunes enfants : cauchemar garanti ! ). C'est dans cette partie que se noue la relation de protection mutuelle entre Ann et Kong, débutée par un numéro de muisc-hall de la jeune actrice, qui réussit à faire rire la bêbette. Le rire étant le propre de l?homme, Kong gagne aux yeux de la belle - et du spectateur- un statut au-delà de la bête. La dernière partie se déroule dans un New York hivernal, avec l'évasion du Kong depuis le music-hall où l'exploite Carl Denham, jusqu'à l'Empire State Bulding. A noter une très jolie scène où Ann et Kong font du patinage sur le lac gelé de Central Park.
Comme la plupart des films aujourd'hui, King Kong aurait gagné à être réduit, tant par rapport à sa longueur qu'à la dispersion de ses propos. En effet, il souffre d'un manque de clarté dans la tonalité adoptée, hésitant entre le ton de la comédie, celui de l'action pure et celui plus dramatique de la dénonciation de la cupidité des hommes. Dernière lecture possible, celle de la métaphore. Comme le personnage de Richard Attenborough dans « Jurassic Park », celui joué par un Jack Blake qui a l'embonpoint de Peter Jackson, montre la démesure nécessaire pour mener des entreprises où la séparation entre triomphe et catastrophe est si mince. Après tout, ramener un gorille de 8 mètres et le présenter à Broadway, ce n'est pas plus compliqué que de passer trois ans à adapter le « Seigneur des Anneaux »?
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