Au sortir de l’Occupation française, Claude Autant-Lara, que l’Histoire a déterminé comme collaborateur au régime de Pétain, réalise «Sylvie et le fantôme» (France, 1945). La poésie du film, aux accents «cocteauesques» (le producteur du film, André Paulvé, est aussi celui de Cocteau), dans laquelle Jacques Tati prête sa figure longiligne pour incarner un fantôme muet mais éloquent de sentiments voile la vérité d’un pays, la France, abattu de honte par la collaboration et prestigieux de gloire grâce à la Résistance. Pendant que l’Italie, en la personne de Rossellini, invente le cinéma moderne avec «Roma città aperta», Autant-Lara se perd dans les méandres du lyrisme. Une fois ce constat établi, «Sylvie et le fantôme» apparaît comme une jolie œuvre de poésie. Sylvie, interprétée avec la délicatesse joviale d’Odette Joyeux, fête ses seize ans et cultive un amour pour l’ancêtre romantique de la famille, Alain de Francigny dont le portrait trône au sommet du manoir. En perte de richesse, le père d’Odette est contraint de vendre le tableau et de se déposséder progressivement des biens familiers. Dans ce manoir prestigieux, face à cette famille aristocratique que les changements historiques viennent à démunir, Autant-Lara traite de l’amour d’une jeune fille (porteuse d’avenir ainsi qu’elle nous est présentée face à un auditoire d’enfants) avec un fantôme (indice d’un passé révolue et qui s’égraine au présent). Cette amour de la fille pour le fantôme du passé sous-tend un rapport envieux de l’avenir au passé, autrement dit défend une démarche passéiste. Et la ruée finale des paysans locaux dans les salles du manoir ne suffit pas à déterminer «Sylvie et le fantôme» comme une œuvre progressiste, porteuse d’un changement et donc d’une nouvelle idée de l’art. Totalement désengagée du présent, comme peuvent l’être a priori les chefs-d’œuvre Cocteau, ce film de la Libération ne porte aucune germe d’avenir mais contient la douceur des belles fantaisies.