Très en vogue dans les années 60/70, les films "à sketchs" avaient quasiment disparu, jusqu'au passionnant "11'09''01 - 11 septembre". Bâti sur le même principe (un thème unique, une durée égale pour tous), "Paris je t'aime" est aussi un formidable catalogue de la diversité du cinéma. Diversité de genres : film de vampire, de kung-fu, fantastique, comédie sentimentale, mélodrame... Diversité de styles : onirique, intimiste, social, politique... Diversité de narrations : flash-back, voix off, plan séquence, accélérés, steady-cam...
Le format de cinq minutes nécessite de rentrer directement dans le sujet, de pratiquer l'ellipse ou l'implicite, et la répétition exige du spectateur une concentration que la durée de l'ensemble (2 heures) rend parfois difficile. Du coup, les (rares) films médiocres (celui de Nobuhiro Suwa avec Juliette Binoche, d'un onirisme pachidermique, ou celui de Richard LaGravenese avec Fanny Ardant et Bob Hoskins, alambiqué et prétentieux) semblent durer bien plus longtemps.
Mais la majorité des films sont au minimum intéressants (Gus Van Sant, les frères Coen, Olivier Assayas) et certains sont de vrais petites merveilles. Alexander Payne ("Sideways") filme Margo Martindale en visite à Paris, tandis qu'on entend sa voix qui dans un français scolaire et phonétique raconte la tristesse de sa vie de factrice solitaire. Alfonso Cuaron ("Harry Potter 4") réalise un plan séquence, long traveling latéral qui suit Nick Nolte et Ludivine Sagnier en train de s'engueuler indistinctement en français et en anglais, laissant un doute sur la nature de leur relation, doute qui ne se dissipera que quand s'arrêtera la caméra.
Le réalisateur allemand Tom Tykwer ("Cours Lola, cours") rentabilise étonnament ses cinq minutes pour raconter le début, le déroulement et deux fins hypothétiques de l'histoire d'amour de Natalie Portman et de Melchior Belson, qui joue le rôle d'un non-voyant (Sortir avec Natalie Portman et ne pas la voir, quel gâchis...)
Sylvain Chomet ("Les triplettes de Belleville") quitte l'animation pour filmer des personnages qui semblent quand même échappés du cellulo, dans un rythme et une esthétique proche de "Zazie dans le métro", avec comme fil rouge entre les deux films la Tour Eiffel.
Mais les deux plus beaux bijoux de cet écrin sont hispaniques : Walter Salles ("Carnets de voyage") suit la matinée de Catalina Sandino Moreno (la "Maria pleine de grâce") depuis la crèche de banlieue où elle calme son enfant d'une berceuse latino-américaine, jusqu'à l'immense appartement du XVI° où une patronne réduite au hors champ lui laisse la garde de son bébé, qu'après une hésitation elle apaise de la même berceuse. Limpide et nerveuse, la caméra suit au plus près Ana, saisissant les émotions qui l'agitent.
L'autre est l'oeuvre d'Isabel Coixet ("The Secret Life of Words"), et nous montre le moment où Sergio s'apprête à annoncer à sa femme qu'il la quitte ; mais elle vient de recevoir les résultats des analyses qui la condamnent... La réalisatrice espagnole utilisent tous les moyens du cinéma : flash-back, voix-off, musique, précision du cadre, pour créer en cinq minutes l'histoire du naufrage d'une vie.
Et puis, Paris. Paris filmé sous tous les angles, à toutes les heures, du XVI° à Belleville, loin des cartes postales chères à Spielberg ou aux autres cinéastes américains restés coincé à l'ère de l'Inspecteur Clouzeau. Pas un simple décor, mais un vrai lieu, à l'instar du trottoir du quartier Montceau squatté par Alfonso Cuaron ou de la rue de Montmartre captée par Denis Podalydés et réduite à d'improbables places de stationnement. Disparate, international et polyphonique, "Paris je t'aime" est bien plus qu'un simple exercice de styles, mais bien un passionnant état des lieux du cinéma contemporain.
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