Avec Dan Curtis, le lord vampire recouvre son potentiel érotique de séducteur né dans un siècle où le romantisme noir des premières décennies a rencontré la naissance de la psychanalyse. Dracula version 1973 a l’audace de faire de son personnage éponyme un homme d’âge mur incapable d’oublier son premier et seul amour, au point de rester bouche bée lorsqu’il découvre, sur une photographie, la réincarnation contemporaine de son aimée. Le réalisateur met donc en scène un Dracula amoureux dont la sauvagerie apparaît peu à peu comme l’expression d’un amour fou que la seule possession de la fiancée peut contenter. Pour l’incarner, Jack Palance a cette grâce et ce mystère qui font de lui un corps tiraillé entre Eros et Thanatos : sa carrure massive que recouvrent cape et costume noirs accueille la légende tout en en proposant une déclinaison fort bienvenue, à mi-chemin entre un dandy et le Barnabas Collins de Dark Shadows. C’est un vampire élégant et raffiné qui n’a pas besoin de pratiquer les arts pour apparaître comme un artiste ; peu à peu, le film donne l’impression de d’être contaminé par celui-ci, allant jusqu’à construire un intérieur richement meublé aux murs rouge-sang, d’une couleur similaire à celle du velours des cercueils. Pas d’effusion d’hémoglobines ici, seulement la noblesse d’une pratique séculaire – le vampirisme est ici dépeint sous les traits d’un art érotique non loin de l’acte sexuel, puisqu’il conduit les aimés à une dépossession intérieure allant jusqu’à la jouissance finale – que la partition musicale composée par Bob Cobert vient poétiser, que de magnifiques fondus enchaînés viennent dynamiser à la manière d’une éclipse, mettant en présence deux images autonomes et qui trouvent pourtant par ce procédé de montage l’opportunité de se réunir, à l’instar du désir et de la mort. Curtis s’efforce également de déformer l’image par le recours à des angles de caméra insolites et déstabilisants. On pourra reprocher à Dracula et ses Femmes de délayer une collection de personnages secondaires qui ont pour unique fonction de faire obstacle au ravissement de la jeune fiancée, pourvus d’une écriture assez faible et de dialogues démonstratifs. D’où cette impression de longueur qui envahit parfois l’écran, entre deux apparitions du Lord. Cette nuance n’entache en rien la qualité intrinsèque du film de Curtis, relecture soignée et à l’esthétique superbe qui aurait gagné en efficacité s’il avait su se concentrer sur Jack Palance, dont chacune des scènes envoûte.