Welles, cinéaste shakespearien par filiation, reconnaît n’admettre qu’Akira Kurosawa pour toucher à son maître dramaturge. «Ran» (Japon, 1985) atteint les sommets de la longue relation Kurosawa-Shakespeare. Comme chez Shakespeare où l’homme est replacé dans les flux que mène à son grès la volonté du Destin, chez Kurosawa, l’être humain, qu’il soit grand seigneur ou bouffon du roi, est positionné dans le cadre de la Nature, remis en contexte de son foyer originel pour mieux l’y confronter à sa propre corruption. Suivant le canevas du «Roi Leare», «Ran» y additionne une virtuose plastique dans laquelle le cinéaste atteint la plénitude esthétique. Les errements d’un grand seigneur âgé offre à Tatsuya Nakadai un de ses plus grands, puisque plus dignes, rôles en la personne d’Hidetora, Leare japonais. La grandeur épique de l’œuvre, soutenue par une longue durée, des costumes et des décors d’une fastueuse somptuosité, érige le film au rang du sublime, non pas un sublime abscons que l’usage a érodé, mais un nouveau sublime nourri des apports esthétiques picturaux traditionnels rendus singuliers par une modernisation au travers d’un vocabulaire basé, essentiellement nippon, sur la notion de vide et de plein. Entre feu et expression du visage, monts et corps de cavaliers, gestes amples et murs de pierre immuable, l’homme en action se heurte à l’infini naturel de la Terre. La lutte des fils pour le royaume, agrémentée de milles soldats, paraît ridicule sur les plaines des verdures. Au final, le champ de batailles, originellement olivâtres, est recouvert du rouge du sang des hommes. Avaient précédés au massacre final, des nuits d’un noir mortuaire, des attentes dans la brume, à la lueur d’un rouge prophétique. Au final, le corps d’un seigneur, réduit à celui d’un homme lambda, se meurt sur le sol et jouit enfin de quitter la petite vulgarité des humains pour rejoindre la belle éternité que lui promet, depuis le début du film, les amples paysages de la Nature.